Le bien des pauvres, ce sont leurs vêtements, leurs bijoux, leurs ustensiles
de cuisine, leur vaisselle de table ou encore leur literie. Bref, tout ce monde
banal qui composait le cadre de la vie quotidienne sous l'Ancien Régime.
Si nous connaissons assez bien le patrimoine des riches, celui des pauvres
dans sa globalité reste largement inconnu.
Ce livre vise à réparer cette distorsion de l'historiographie. Il explore un
fond massif, les archives du mont-de-piété d'Avignon, institution unique
dans la France des temps modernes : de 1600 à 1800, on conserve la trace
du passage de plus de 600 000 Avignonnais et du dépôt de près d'un
million d'objets.
Jeanne Carême est la première femme de cette longue cohorte. Son portrait
introduit au portrait de groupe, celui des gens de peu : portefaix du
Rhône, jardiniers de l'intra-muros, artisans de la soie, courtières et fripiers
juifs. Tous participent à une économie souterraine où le mont tient une
place centrale, à la fois institution d'assistance transformée en établissement
de crédit et centre d'échanges de fripe et de brocante. Derrière les
objets il y a surtout les femmes qui jouent un grand rôle dans la naissance
de la consommation populaire. Il y a encore des gestes, des manières de
vivre et de sentir, de cuisiner, de dormir, de s'éclairer. Il y a enfin des
manières de s'habiller et de paraître.
Ce livre montre comment le jeu des apparences se met en place, subtilement
à travers des petits riens, des retouches dans les formes, des jeux
d'accessoires. Les tissus changent et se renouvellent ainsi que les formes et
les coupes. Avec les indiennes et le piqué s'esquisse ce qui deviendra le
costume provençal. Et la mode ne touche pas seulement le domaine vestimentaire
: c'est toute la culture matérielle d'autrefois qui, sur deux siècles,
évolue tantôt rapidement tantôt subrepticement.
Avec l'émergence d'une consommation populaire, il convient de s'interroger :
à la veille de la Révolution, le luxe et le superflu ne seraient-ils donc plus
réservés aux riches ?