Elle ne sait pas qu'au moment où elle m'écrit, je suis assis dans le noir et la sais m'écrivant. J'ai fait
mes courses quotidiennes. Je n'ai acheté que du blanc car c'est ma semaine blanche. Elle connaît mes
semaines monochromes, blanches, rouges, vertes, qui donnent sens à mon frigo devenu cohérent. Elle sait
que j'ai aligné chacun des aliments à équidistance l'un de l'autre, qu'après avoir cuit les blancs d'oeuf,
j'ai mangé du fromage en m'autorisant cette petite impureté qu'est le pain de mie, puis un yaourt. Elle
ne sait pas que toute la nuit j'ai tremblé du baiser qu'elle m'a donné.
Il y a trois ans que Paul s'est retiré dans une maison de repos, assumant son incapacité à
vivre sa vie, plus à son aise avec les fous qu'avec les gens dits normaux. Il y trouve une forme
d'harmonie, tout entier absorbé dans sa grande passion, la poésie, et dans des rituels ponctués
par les visites de son infirmier. Un jour il reçoit la lettre d'une femme qui l'a aimé. Il lui faut
affronter une dernière fois ses souvenirs, et retrouver le monde du dehors.