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En relisant La Chèvre de Monsieur Seguin, je me suis souvenu du grand loup de l’enclos. Un épisode du conte me parlait particulièrement, celui où Daudet écrit : «Tout à coup le vent fraîchit. La montagne devint violette: c’était le soir. – Déjà! dit la petite chèvre et elle s’arrêta fort étonnée.» Un mot vibre dans cette phrase : le mot déjà. Dans toute existence arrive le moment où un être se dit: déjà!? Cela arrive à l’âge où l’on se rend compte que le temps subitement fraîchit, que la montagne de sa propre vie se peuple d’ombres. Déjà? Oui, déjà. Comme si une grande part de notre temps avait été dévorée. Par quels crocs de quelle gueule? Par quelle gueule de quelle bête? Dans À l’heure du loup, Pierre Morency met en scène toute une galerie de personnages. Le poète Lauréat Pick, le biologiste Scotteen, le cinéaste Duve, et surtout un homme qui porte le nom sonore et étonnant de Trom. Trom, où s’inscrit, à rebours, la destination ultime de chacune de nos existences. Trom observe, écoute, dessine, voyage. Il parle de l’éblouissement toujours renouvelé que provoque l’apparition d’un oiseau, de la lumière de la terre de Baffin, de la sensation sous le pied de l’argile qui n’a jamais été foulée. Ce qui distingue la parole de Trom, c’est l’art de cerner à l’aide des mots les plus simples ce qui fait l’essence même de notre vie.