Auschwitz est comme un trou dans notre histoire, au-delà
même d'une tragédie, si l'on donne à ce terme
les connotations nobles et élevées qu'on lui associe
d'ordinaire. Dès lors, la question, pour nous tous, est de savoir
dans quel espace nous pouvons vivre si nous acceptons
d'«habiter cette catastrophe», si, au lieu de vouloir l'intégrer
dans un ordre quelconque en essayant d'en tirer des leçons,
nous la vivons comme indépassable.
Ce livre passe en revue les catégories devenues classiques
pour analyser la Shoah : génocide, banalité du mal, devoir de
mémoire... Il les critique toutes. Il ne les refuse pas, mais s'efforce,
respectueusement, d'en montrer les limites. Par sa seule
existence, la Shoah récuse d'une manière abyssale nombre
de présupposés de la tradition philosophique et politique
occidentale : par exemple la représentation de l'homme
comme «animal raisonnable» et l'opposition entre cette rationalité
et des passions qu'il faudrait dompter. Elle nous oblige
à reconsidérer l'histoire de l'Occident, et à repenser l'homme.
Si le sol de nos certitudes est ainsi ébranlé d'une manière
décisive, dans quelle «maison» pouvons-nous vivre désormais ?
Fabrice Midal nous fait entendre la parole de Nelly Sachs et
de Paul Celan : la «cabane» dans laquelle nous séjournerons
ne pourra plus annuler notre exil.