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Grégoire, un professeur, a atteint l’âge de la retraite, et aborde la vieillesse avec sérénité. Il a le sentiment d’avoir réussi sa vie, et échappé à la solitude. Peu à peu, ses sensations se sont aiguisées, raffinées, approfondies. Grégoire exerce son pouvoir dans une maison de retraite normande, proche de la mer, dirigée par une directrice monstrueuse de vitalité, d’égoïsme et de vénalité. Surnommé le Mage, il s’emploie à soulager les vieillards par sa parole, et par ses mains, au cours des séances qu’accorde sa philanthropie ambiguë, insolite et charnelle. Au contact d’une très jeune femme, à laquelle il a donné des répétitions de français quand elle était adolescente, il retrouve des forces vives qu’il prodigue dans une exaltation mêlée d’angoisse. Ce premier et dernier grand amour éclate aux approches de la décrépitude et de la mort. Autour du Mage, avançant vers l’abîme où quelques-uns sombrent déjà, le troupeau des vieillards de la maison : Geneviève, l’exquise amie, Marguerite qui rêve son passé et le transfigure, la frêle et rougissante Rose Lieuvain, Jeff et Girard les pitoyables pantins et, surtout, le comte méprisant, stoïque et suicidaire, enfermé dans sa solitude et ses traductions de Faulkner. Le Mage échappera-t-il au naufrage de la vieillesse, et supportera-t-il d’être démasqué par la lucidité terrible du comte, ou les sarcasmes des nouveaux pensionnaires ? Cette longue chronique d’enthousiasme et d’agonie est rythmée par les bourrasques périodiques, épiques et sanglantes, d’automobiles jetées sur l’autoroute qui relie Paris au rivage normand, par le suicide des hommes, ainsi que par les bonaces et les furies plus universelles de la mer. Les événements les plus inattendus surgissent, sensuels, mortels et telluriques. L’ensemble impose son réalisme vigoureux, pétri tout à la fois de chaleur humaine, de sauvagerie, d’émotion vraie, et de fantastique. L’abîme est le troisième, indépendant et dernier volet, de ce que Patrick Grainville appelle son « Autobiographie mythique » c’est-à-dire l’histoire souvenue, sentie, projetée, d’une vie qu’il a la satisfaction d’avoir vécue jusqu’au bout, du moins sur le plan de la littérature. Dans l’incertitude de connaître la maturité et la vieillesse, il s’est empressé de les imaginer, de les raconter. L’abîme achève donc dans une polyphonie étonnante de jubilation, de terreur, de magie et d’agonie, l’existence préludée dans La Toison (1972), et plus largement orchestrée dans La Lisière (1973).