L'invention de l'idéal et le destin de l'Europe
Idéal est un mot d'Europe : il s'y retrouve d'une langue à l'autre,
seule diffère la façon de le prononcer.
Il n'est pas banal d'avoir isolé dans la vie de l'esprit cette représentation unitaire, séparée de l'affectif, qu'on appelle « idée ». Il l'est
encore moins d'avoir imaginé reporter sur elle, promue en « idéal »
séparé du monde, la fixation du désir, au point de faire de cette
abstraction le mobile d'une humanité prête à s'y sacrifier.
L'idéalisme platonicien et la dramatisation de l'existence qu'un tel
coup de force a inspirée, le lecteur les redécouvre à neuf considérés
depuis la Chine.
Car la Chine nous dit comment on aurait pu ne pas se laisser
prendre à ce jeu de l'idée. Et d'abord comment s'engager dans la
pensée en s'insérant dans la tradition plutôt que de vouloir, par
le doute, rompre avec toute adhésion ; comment se fier au conditionnement de la conduite par imprégnation des rites plutôt que
par l'obéissance consentie à la Loi ; ou comment la Raison peut se
conformer à la régulation des choses plutôt qu'à la formalisation
d'un modèle détaché du monde.
Au moment où l'« Europe » doute de son avenir, n'y a-t-il pas intérêt
à repenser cette vocation de l'idéal ?