En qui s'incarne plus naturellement le théâtre français qu'en
Molière ? En qui se manifeste plus symboliquement le pouvoir
monarchique qu'en Louis XIV ? Or ces deux monstres
sacrés de notre histoire et de notre culture ont été les héros d'une
intrigue compliquée, d'une tragicomédie extravagante, à propos d'un
chef-d'oeuvre. Ce couple improbable formé par Molière et Louis XIV
et incarnant les deux visages de la gloire a même été mis en échec
durant cinq longues années par une troisième force, celle de l'Église,
personnifiée par l'archevêque de Paris. Tout cela fait de «l'affaire
Tartuffe» - où s'affirment avec le plus d'éclat et le génie de Molière
et le déploiement du «Soleil» - l'un des épisodes les plus significatifs
de l'histoire de la culture en France. D'autant plus significatifs
qu'à cette tragédie de la comédie sont mêlés, outre Molière et le roi,
les personnages les plus fameux de l'époque, de Condé à Henriette
d'Angleterre, de Colbert à Bossuet, de Boileau à la reine mère Anne
d'Autriche, et de Racine au président de Lamoignon...
Sur cette extraordinaire «affaire», Jean Lacouture et François Rey,
en dialoguant, apportent des lumières qui ne le sont pas moins. Le
premier est davantage dans l'empathie, l'autre garde plus volontiers
ses distances et se réfère aux archives de l'époque, qu'il connaît fort
bien. La complémentarité de leurs approches fait en tout cas de ce
livre un événement. On y verra remis en cause certains acquis de la
recherche moliéresque (sur la prétendue «cabale des dévots» ou sur
la polémique concernant Dom Juan). On y découvrira des hypothèses
dérangeantes et même des «révélations» concernant Le Tartuffe et
Dom Juan. On trouvera enfin, au fil des pages, de nombreux documents
peu connus, certains même inédits.
C'est peu de dire que, par ce livre fourmillant de révélations, «l'affaire
Tartuffe» rebondit.