Aurore, comme son titre ne l’indique surtout pas, est un livre cruel. On se dit, « ce coup là, le philosophe-artiste a fait dans la métonymie : l’aurore, c’est la philosophie de l’avenir, la philosophie nouvelle débarassée des préjugés moraux... ». Moi, lecteur révolté et dissident, j’y vois le bréviaire du contestataire, les aphorismes de l’insurgé de service. Hélas, au risque de décevoir les plus exaltés d’entre-nous, Nietzsche, encore une fois, ne nous caresse pas dans le sens du poil. Et c’est bien là sa cruauté.
En presque six cents maximes, le philosophe au marteau, sort l’artillerie philosophique lourde et tire à bout portant sur l’idéologie qui fonde notre société, et avec elle, notre système de valeurs, auquel nous sommes si attachés. Cruauté d’arracher à l’homme, tel à un enfant gâté, ses jouets les plus chéris, mais qui sont le principe même de sa corruption. Cruauté de nous priver des fondements moraux les plus assurés et de nous contraindre d’assister à leur disparition. Cruauté de te jeter dans les couloirs du temps, dans l’intemporel, contre les modes et les tendances, orphelin de toute métpahysique, pour ta résurrection.
Et c’est bien là le sens du recueil. Des propositions pour une renaissance. Des préceptes fondateur d’une nouvelle humanité, au-delà de la morale, au-delà du christianisme, de la démocratie, des droits de l’homme, et avec eux, du chorus des vertus traditionnelles : justice, tempérance, tolérance, générosité, honnêteté...
L’Aurore est donc ce moment douloureux et éclatant où l’individu, aveuglé par la puissance du soleil, doit se lever, les membres encore fourbus, le corps exténué de son sommeil dogmatique, l’esprit anéanti par un éternel coma rationnel.
La présente édition reprend la traduction de Henri Albert, faite sur le quatrième volume des Œuvres complètes, publié en 1894 par le Nietzsche-Archiv, chez C. G. Naumann, à Leipzig.
Ce livre s’adresse à ceux, qui, fébriles devant le monument poético-philosophique du Zarathoustra, trouveront une approche plus pédagogique de la philosophie de Nietzsche.