Au commencement était la main, un fragment, la partie d'un tout.
L'imaginaire s'en saisit parfois pour raconter l'histoire de la Relève du
Temps, l'alternance de la naissance et de la mort à travers la dynamique
du sacrifice. Cette problématique constitue la trame souterraine
structurant bien des oeuvres à travers l'immémoriale et implacable
logique du «si le grain ne meurt...». Un grand nombre de récits
peuvent être déchiffrés grâce à cette clef qui donne sens à toutes ces
mains insolites jonchant en particulier dans la littérature médiévale
les textes : mains coupées en guise de punition ou dans le duel en prélude
à la décapitation, mains rongées par la lèpre ou offertes en tribut,
mains magiques enfin, ou desséchées par quelque péché secret ou la
seule vieillesse. Et non loin de ces mains, de ces manchots l'on trouve
volontiers des poissons, des oiseaux, des eunuques et des vierges, des
marraines et des marâtres, des mannequins et des ymaiges, de drôles
de pousses de gibet aussi, et beaucoup de jumeaux. Une oeuvre emblématique,
La Manekine de Philippe de Rémi, fournira le cadre narratif
ainsi que les principaux motifs récurrents autour de la thématique de
la mutilation : des traversées de grands océans, des accusations
calomnieuses, de grandes disettes et de mélancoliques pêcheurs, mais
également des Pâques radieuses. La métonymie engendre le double :
amputation et génération forment un couple imprévu pour dire la
guérison nécessaire du temps à travers la métaphore de la maternité
et de la royauté à restaurer. Une main est coupée, un mannequin est
brûlé, un sacrifice est donné au vieux bonhomme Temps pour le
refaire jouvenceau, tandis que la Manekine, Reine mehaigniée, est
enfin guérie et couronnée.