«Jamais la littérature n'a été aussi "philosophique" qu'au XXe siècle»,
remarque Merleau-Ponty. Sans doute est-ce la raison pour laquelle les
philosophes s'y sont intéressés, plus qu'à n'importe quelle autre époque.
Pourtant, à la différence d'autres écrivains majeurs du siècle dernier -
tels Proust, Kafka ou Musil -, Faulkner n'a guère donné lieu, jusqu'à
présent, à une interprétation philosophique d'ensemble. Probablement
parce que son oeuvre se déploie en deçà du plan des idées et des théories,
sur un plan d'immanence radicale où seule compte, dans sa nudité,
l'«expérience muette encore» qu'il n'a de cesse pourtant d'élever à la
parole, au chant.
Faulkner est un écrivain dont la vocation essentielle a été de révéler
sans expliquer ni juger, et, en révélant, de faire comprendre, aussi loin
que cela est possible. Le but de son écriture est, à travers les êtres et les
situations, de revenir aux choses mêmes, de montrer le monde en train de
naître sous nos yeux, et ainsi, de nous plonger en lui. D'où sa dimension
de part en part phénoménologique. Le philosophe peut à son tour explorer,
lire et comprendre cet univers romanesque, à la suite de Valéry qui
soutenait : «Le roman voit les choses et les hommes exactement comme le
regard ordinaire les voit.»
Une lecture inspirée de la phénoménologie ne doit pas seulement lire
Faulkner autrement que les différentes formes de critique littéraire, mais
rendre la parole à l'auteur en tant que phénoménologue. En sorte que la
question qui a guidé Claude Romano au long de ces pages n'a pas été :
qu'est-ce que la phénoménologie apporte à la lecture de Faulkner ? mais
plutôt : qu'est-ce que la lecture de Faulkner apporte à la phénoménologie
?