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Interview de notre cher auteur confiné : Sylvestre Sbille - lauréat du Prix des Lecteurs Club 2019 

 

1. Quel est le moment privilégié de votre journée de confiné ?

Le cinéclub familial de 20h30. Hier, c’était « Le Mans 66 » de James Mangold, avec un Christian Bale qui arrive à nous prendre par surprise à chaque film.  Il y a aussi un cycle Woody Allen en cours, qui a beaucoup de succès. Et un autre François Truffaut. C’est fou comme ses films vieillissent bien. « Le dernier métro » par exemple : l’occupation, le milieu du théâtre, le besoin de créer malgré tout, la culture comme ciment de toute activité humaine… Tout ça prend beaucoup de relief dans un contexte de confinement.
Sinon, nous avons aussi la soirée déguisée hebdomadaire (déjà trois éditions) où toute la famille joue le jeu. C’est important de marquer des rendez-vous forts, avec une portée symbolique, à présent que les jours de la semaine ont presque disparu. L’importance de la fête.

2. Quel livre de votre bibliothèque est selon vous le meilleur symbole de ce confinement que nous vivons tous ?

Il y en a beaucoup. Je dirais « Le mur invisible » de Marlen Haushofer. C’est un classique de la littérature en Autriche. On l’a découvert, mon épouse et moi, il y a quelques années. Emmanuelle me lisait tellement de passages intéressants que finalement on se l’est lu intégralement à haute voix. C’est l’histoire d’une femme qui se retrouve seule avec une vache et un chien dans un chalet perdu dans la montagne. Impossible de bouger car après quelques centaines de mètres, un mur invisible s’est créé en une nuit. Tous les gestes deviennent importants : la réserve de bois est primordiale, les animaux deviennent des compagnons extrêmement précieux, des figures tutélaires, presque divines. Le livre nous en dit beaucoup sur ce qui compte réellement. L’héroïne est obligée de sortir du quotidien, et la solitude la recentre. C’est ce qui nous arrive collectivement aujourd’hui. Il y a le contexte sanitaire, avec le deuil, le danger, mais il y a aussi beaucoup de gens que le « lâcher-prise obligatoire » va reconnecter à eux-mêmes, à ce qu’ils espéraient de la vie quand ils avaient 10 ou 15 ans. Nous sommes pris dans une sorte de farandole permanente : ce rythme imposé par le capitalisme, par cette nouvelle religion du confort et par le culte du moi. Quand on fait partie de la farandole, on ne la voit plus. En sortir enfin donne à la fois le tournis et l’impression de revenir à soi. Je ne pense pas qu’après le confinement nous soyons capables de remettre en cause massivement notre modèle, cette nouvelle religion au dieu Argent, au dieu Consommation, au dieu Virtuel. Mais pas mal d’individus auront retrouvé des gestes. Faire du vélo. Préparer à manger… J’entends même beaucoup d’amis qui me parlent de « progrès intellectuels » : le fait d’être en télétravail leur permet de pousser la réflexion car les tranches de concentration sont beaucoup plus longues. Une « vraie » séance de 3 heures où on va (enfin) toucher le nœud du problème est plus efficace que 10 séances d’1 heure où on ne fait qu’agiter la surface avec les collègues.

3. Etre confiné vous inspire pour écrire ? Un nouveau roman en cours ?

Oui, j’ai la chance d’être juste au bon moment, celui de la rédaction proprement dite. J’échappe donc plusieurs heures par jour à l’avalanche de ces « nouvelles informations primordiales » qui renforcent paraît-il la psychose de groupe. J’ai terminé la phase de documentation, je passe beaucoup de temps avec mes héros, en Judée, au 1er siècle de notre ère. Eux aussi sont confinés, donc le hasard fait relativement bien les choses.

4. Comment contactez-vous vos proches, uniquement via les réseaux sociaux ou vous prenez votre plume pour écrire des lettres ?

Les réseaux sociaux ne me paraissent pas idéaux pour entretenir l’amitié. C’est bien pour envoyer de petites bouteilles à la mer ludiques, des clins-d’œil visuels, des réflexions en format court. Ou pour se plaindre. 
Pour les amis et la famille, j’écris et je reçois des emails, et puis j’ai pratiqué plusieurs fois l’apéro-skype, ce qui est assez sympathique. Il y a également le bon vieux téléphone, qui a cessé en quelques jours d’être un facteur de stress collectif où il faut être à tout prix efficace, rentable, concis, pour redevenir ce qu’il était dans les années 70/80/90 : un moyen de faire circuler la confiance, la confidence, sur le mode « on a le temps, faisons le point sur nos vies ».

5. Quelle musique vous console le mieux ?

Vivaldi. Et des musiques de film, dont Max Richter.

6. Qui dit confinement dit lectures, quelles sont les vôtres en cours et à venir ?

J’en ai plusieurs à la fois : Frank McCourt et son « Teacher Man » (reçu pour mon anniversaire), « Entretien avec un vampire » de Anne Rice, et le Belge Jeroen Olyslaegers avec « Trouble » qu’on ma offert lors d’une rencontre en librairie parce que ça se passe dans la même ambiance que « J’écris ton nom ». 

7.  Quel plat, recette du chef nous conseilleriez-vous ?
 
 

Aujourd’hui je fais un « agneau de 7 heures ». Donc 7 heures de cuisson à 120 degrés max, dans un plat fermé. Avec sel, poivre, ail en gousse, origan frais. A la moitié, j’ajoute des oignons en julienne, des pomme de terre mal dégrossies, de carottes et des patates douces. Tout cela fond. L’agneau est si tendre qu’il se mange à la cuiller. J’ai l’impression d’un peu moins mal respecter l’animal quand je le cuisine avec amour. Cela dit, chez nous on mange de moins en moins de viande. Le confinement a confirmé la tendance du goût retrouvé. Le temps nous permet de nous interroger sur ce qu’on aime manger, et on peut sortir des modèles de menus imposés par notre inconscient, où la viande est encore malheureusement présente en grande quantité (et pauvre qualité).

8. Un moment sport à partager ?

Bizarrement, moins de sport qu’avant. Je joue au tennis chaque semaine d’habitude, mais mon partenaire est aussi un médecin très demandé, il a mieux à faire. 

9. Dans quel magasin vous précipiterez vous après le déconfinement ?

Plus que des magasins, j’attends avec impatience des lieux et des moments de partage par la culture. Un concert, une pièce, une rencontre dans une librairie… L’important c’est de sentir la communion collective qui nous dit qui nous sommes. Manger, boire, être en bonne santé, c’est important. Mais si nous ne recevons plus que les nourritures terrestres, nous allons pernicieusement mourir de l’intérieur. Pour l’instant on compense comme on peut, chacun chez soi. Mais tout comme il faut un fixatif pour que les rayons du soleil nous soient bénéfiques, il nous faut le fixatif du culturel collectif pour que tout retrouve un sens.

10. Quel message de vie retiendrez-vous à l’issue de cette épreuve ?

Une citation dans un courrier reçu de l’école de ma fille cadette. Etty Hillesum est une jeune Hollandaise qui a tenu son journal au début des années 40, avant d’être déportée à Auschwitz, d’où elle n’est pas revenue. Dans ce contexte notre « épreuve » paraît bien légère – malgré le deuil et la peur.

« Même si on ne nous laisse qu’une ruelle exiguë à arpenter, au-dessus d’elle il y aura toujours le ciel tout entier ». Etty Hillesum