Les éditeurs parisiens, et avec eux, les professeurs de Lettres, présentent généralement Candide comme l’œuvre d’un écrivain des Lumières, d’un intellectuel engagé, contre l’intolérance religieuse, politique et guerrière. Contre le racisme, les coutumes absurdes et le conservatisme aristocratique. Bref, un modèle d’ironie et de sarcasmes bien placés. Le genre de type et de texte qui vous bouleverse une société à lui seul.
En fait, on peut lire Candide autrement. Sans arrière-pensées. Sans sérieux et suffisance. Pour le plaisir de lire un texte frappeur et draconien contre le genre humain.
Un conte philosophique qui multiplie l’humour farcesque, voire salasse : qu’on se rappelle du début programmatique. Candide est le bâtard d’une incartade amoureuse de la sœur du baron; quelques lignes plus tard, la jeune Cunégonde surprend le prof de philo, Pangloss, en train de livrer un assaut amoureux à une servante; et le chapitre se termine par un coup de pied dans les fesses de Candide, qui a tenté de reproduire ce que Cunégonde a vu des ardeurs “philosophiques” de Pangloss... Ajoutez à cela que Cunégonde semble vouloir battre des records en multipliant ses aventures sexuelles - de bon ou de mauvais grès - et vous vous ferez une idée véritable de Candide qui n’a rien d’un livre pour innocents.
C’est une parodie de ce genre littéraire bien en vogue au XVIIIe, le roman picaresque, où un pauvre erre devient le jouet du destin, qui fait de lui tout et son contraire, le hissant au sommet de la société pour le jeter tout en bas, gros jean comme devant. Il faut donc se méfier de lire dans Candide ce qu’on aimerait bien y voir. Voltaire se moque de tout et de tout le monde. Même le fameux chapitre 19, Le Nègre de Surinam, n’est pas aussi univoque qu’on le dit. L’auteur renvoie dos à dos la monstruosité des esclavagistes et la servitude volontaire des esclaves, stupide dans leur immobilisme. Bien-sûr Leibniz, Rousseau, Frédéric II, Emilie du Châtelet, la maîtresse de Voltaire, tout le monde en prend pour son grade.
La présente édition reprend le texte original paru en 1759 à Genève aux Editions Princeps
A relire de toute urgence pour avoir sur l’existence un regard toujours critique, mais jamais sérieux.