
Crime et utopie
La thèse est audacieuse : le nazisme était un projet utopique
au sens fort du terme. Elle est audacieuse parce nous avons
tendance à exonérer l'utopie pour n'en conserver que la
dimension émancipatrice, en minorant les dérives, les erreurs,
les meurtres qu'elle a aussi produits.
À présent, mettons face à face la rhétorique nazie et les
caractéristiques fondamentales de l'utopie : refaire l'homme
par l'éducation, le travail et le sport ; bâtir une cité réconciliée,
unie et heureuse, tenter de la rendre éternelle... Point par
point. Frédéric Rouvillois démontre un emboîtement presque
parfait - et mortifère. La volonté nazie de refaçonner le
monde avait beau être délirante, elle était strictement réglée
et se voulait rationnelle. L'idéologie national-socialiste était
paranoïaque, théoriquement indigente, c'est vrai, mais elle
aussi promettait l'épanouissement d'un peuple élu. Sinon,
comment expliquer l'engouement des Allemands pour un
projet aussi monstrueux ?
Envisager le nazisme sous l'angle de l'utopie permet deux
choses. De souligner le parallèle avec l'autre totalitarisme
du XXe siècle, le communisme : il n'y a pas d'utopie innocente.
De comprendre le « judéocide », massacre conçu et organisé
comme la condition et l'une des finalités de cette utopie
criminelle. Le premier rapprochement est admis par
beaucoup. Le second est plus inédit, mais l'idée de l'utopie
comme intrinsèquement porteuse de génocide s'impose à
nous à la lecture de cet essai.
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