Le prince Charles-Joseph de Ligne (1735-1814) est célèbre et mal connu. Ce
n'est pas le moindre paradoxe de ce militaire spirituel, écologiste avant la lettre,
auteur, diplomate, l'homme aux «cinq ou six patries». Mais cet Européen unique
est enseveli sous les compliments, les jugements qui ressassent inlassablement
les mêmes «bons mots», les mêmes anecdotes vraies ou fausses, citent les
mêmes textes, souvent mal édités, et qui ne représentent qu'une faible partie de
son oeuvre.
Le public cultivé mérite mieux. Depuis une douzaine d'années des signes
évidents d'un réveil des études «lignistes» se multiplient. L'absence d'une
édition critique et scientifique de ses oeuvres majeures ne s'en fait que plus sentir.
Dans cette optique, ses mémoires, les fameux Fragments de l'histoire de ma
vie jouent un rôle de première importance. Jeroom Vercruysse a pu travailler sur
les manuscrits conservés en mains privées et en découvrir d'autres totalement
inconnus. Son travail propose un texte enfin sûr, complet et vivant. Un autre
personnage que le «prince rose», libertin ou léger de la tradition émerge ici. Ces
pages nous offrent ses analyses souvent hardies, toujours piquantes sur son
époque, ses contemporains, Versailles, Vienne, Saint-Pétersbourg, l'Ancien
Régime, la Révolution, l'Empire napoléonien. Un homme y confesse avec une
rare franchise ses passions, ses doutes, ses douleurs parfois intimes, toujours
émouvants.