
Cet ouvrage, désormais classique, de Victor Goldschmidt, est
le seul consacré à une notion centrale de la philosophie platonicienne,
le paradigme, à la fois exemple, comparaison et modèle.
En prenant comme fil conducteur la définition donnée dans
le Politique, l'auteur commence par étudier le rôle joué par «ce
procédé privilégié» dans la méthode dialectique des derniers
Dialogues. S'exercer sur une réalité banale et observable,
la pêche à la ligne ou le tissage, permet de découvrir le genre et
la structure d'un «grand sujet», plus difficile à définir, comme le
sophiste ou l'art politique. Cependant, la réussite d'une démarche
n'en saurait fonder la légitimité. En s'interrogeant sur son
fondement, Goldschmidt montre que l'usage d'un paradigme
«obéit à un mouvement profond de la pensée platonicienne, il
nous mène du visible à l'invisible». Car les choses visibles ne sont
pas seulement les images déficientes, imparfaitement ressemblantes,
de ces modèles parfaits que sont les Formes : l'ordre
du sensible correspond trait pour trait à l'ordre intelligible. Les
ressemblances peuvent être trompeuses et conduire à de faux
paradigmes, l'analogie entre les deux ordres est rigoureuse et
fonde ces «notions frontières» du paradigme que sont le mythe
et la métaphore. Qu'il y ait là une contradiction, ou plutôt une
tension, ne doit pas être dissimulé : les divers usages platoniciens
du paradigme en sont la preuve, et forcent à dépasser la tradition
tenace et paresseuse d'un univers platonicien irrémédiablement
scindé. «Le paradigme témoigne que nous sommes des êtres
incarnés», ayant besoin, pour accéder à l'invisible, de nous
appuyer sur des réalités sensibles et familières ; cela n'est légitime
que parce qu'il existe des correspondances secrètes et réglées qui
«lient ensemble ciel et terre, dieux et hommes» (Gorgias, 508 a).
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