L'art musical est sans contredit celui de tous les
arts qui fait naître les passions les plus étranges,
les ambitions les plus saugrenues, je dirai même les
monomanies les plus caractérisées. Je m'abstiendrai
de parler à ce sujet des hommes de lettres, qui écrivent,
soit en vers, soit en prose, sur des questions de
théorie musicale dont ils n'ont pas la connaissance
la plus élémentaire, en employant des mots dont ils
ne comprennent pas le sens ; qui se passionnent de
sang-froid pour d'anciens maîtres dont ils n'ont jamais
entendu une note ; qui admirent en bloc, et avec la
même effusion de coeur, deux morceaux signés du
même nom, dont l'un est beau en effet, quand l'autre
est absurde ; qui disent et écrivent enfin ces étonnantes
bouffonneries que pas un musicien ne peut
entendre citer sans rire. Il est bien évident que les
gens qui s'attribuent le droit de divaguer à propos de
musique sans la savoir, et qui se garderaient pourtant
d'émettre leur opinion sur l'architecture, sur la
statuaire, ou tout autre art à eux étranger, sont dans le
cas de monomanie.
Hector Berlioz