«Nous avons jeté l'ancre dans la mer sablonneuse des bles pour y bâtir notre durée.» écrit l'auteur au début de Lettre de Beauce. Lettre écrite pour conjurer l'absence ; celle de l'être aimé ; mais aussi pour édifier et maintenir entre la plénitude des souvenirs et le vide de certains jours une demeure de fidélité. Ici, tout porte trace d'une présence à la fois invisible et intense depuis le creux resté sur l'oreiller jusqu'au chant du tilleul. Rarement, une absence aura été si douloureusement ressentie en même temps qu'admirablement maîtrisée. Lettre de Beauce est un splendide blason d'amour qui ne cesse à chaque page, à chaque image et presque à chaque mot, de nous ouvrir les rituels secrets, salvateurs de cette entrée en solitude.

Avec la même beauté, la même force des images, Conversation dans le noir prolonge le texte précédent sous forme de journal et surtout de réflexions qui dépassent ici le champ de l'absence et de la solitude. Cette fois, c'est le noir, la nuit, la face invisible des êtres et du monde, c'est le mal lui-même sous ses formes les plus quotidiennes et les plus insidieuses qui peuplent et hantent ces pages tissées de mots et rencontres, de notes et d'images qui en font une véritable cantate des ombres et de la nuit du monde. Procès même à certains moments des manques, des vides, des absences et des absurdités d'un monde sans exigence. C'est un cri, même s'il est quelquefois murmuré, un cri juste, un cri fort, inspiré, exhalé qui sourd de ces pages très souvent embrasées. Le contraire d'une soumission ou d'une résignation. Au point qu'ici, au terme du silence et de la solitude, la nuit elle-même devient féconde.

Jacques Lacarrière

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