Un poème est un discours qui exige et qui entraîne une liaison continuée entre la voix qui est et la voix qui vient et qui doit venir. Et cette voix doit être telle qu’elle s’impose, et qu’elle excite l’état affectif dont le texte soit l’unique expression verbale. Ôtez la voix et la voix qu’il faut, tout devient arbitraire. Le poème se change en une suite de signes qui ne sont liés que pour être matériellement tracés les uns après les autres.
Un poème est une durée, pendant laquelle, lecteur, je respire une loi qui fut préparée : je donne mon souffle et les machines de ma voix ; ou seulement leur pouvoir, qui se concilie avec le silence. Je m’abandonne à l’adorable allure : lire, vivre où mènent les mots. Leur apparition est écrite. Leurs sonorités concertées. Leur ébranlement se compose, d’après une méditation antérieure, et ils se précipiteront en groupes magnifiques ou purs, dans la résonance. Même des étonnements sont assurés : ils sont cachés d’avance, et font partie du nombre. Mû par l’écriture fatale, et si le mètre toujours futur enchaîne sans retour ma mémoire, je ressens chaque parole dans toute sa force, pour l’avoir indéfiniment attendue. Cette mesure qui me transporte et que je colore, me garde du vrai et du faux. Ni le doute ne me divise, ni la raison ne me travaille. Nul hasard, — mais une chance extraordinaire se fortifie. Je trouve sans effort le langage de ce bonheur ; et je pense par artifice, une pensée toute certaine, merveilleusement prévoyante, — aux lacunes calculées, sans ténèbres involontaires, dont le mouvement me commande et la quantité me comble : une pensée singulièrement achevée...