Paris et l'Italie sont généralement considérés comme les deux
pôles orientant la vie et l'écriture de Stendhal. La province, quant
à elle, reste souvent oubliée alors qu'elle représente incontestablement
le troisième lieu essentiel de sa création et de son imaginaire.
Pour lui, c'est un univers méconnu du grand public, qui reste à
découvrir et à décrire, dans sa géographie et son histoire particulières.
Certes, il pose un regard fort critique sur ce monde
«asphyxié», qu'il connaît bien pour y avoir vécu son enfance et
son adolescence et pour l'avoir parcouru en tous sens au cours de
ses multiples voyages. Il n'en demeure pas moins qu'à côté des
défauts qu'il lui reproche (inconfort, mauvais goût, bêtise, ennui,
méchanceté, ridicule...), il reconnaît à la province des qualités
inattendues qui donnent à cette dernière une place de choix dans
sa géographie personnelle. Au delà d'une simple expression cathartique
du fantasme faisant de la province à la fois une mère et une
marâtre, l'utilisation du concept présente aussi pour Stendhal un
intérêt d'ordre poétique car il peut structurer la fiction et inspirer
une technique d'écriture particulière, notamment dans les récits
du Touriste. Enfin, et surtout, écrire sur cet objet suscite l'amusement,
voire une intense jubilation.
De la nausée provoquée par la province au plaisir d'écrire sur
elle, c'est un Stendhal inattendu qui se révèle ainsi au fil de la
lecture dans toute sa dimension d'inventeur de la province
moderne aux côtés de Balzac.