En ces temps d'inéludable réflexion sur une possible persistance (ou obsolescence programmée) de notre manière d'être au monde, d'habiter la terre et de vivre ensemble, ainsi que sur la légitimité des grands systèmes qui nous gouvernent, La Chair propose la dystopie d'un monde subordonné à la seule fonctionnalité. Au royaume de la servitude volontaire, les hommes sont les pions anonymes d'une organisation toute économique, et le féminin, réduit à des bustes offerts à la mécanique du plaisir et à la perpétuation de l'espèce. Survient l'impensable : la confrontation à 1'impuissance qu'opposent au masculin des ventres soudain devenus inféconds. La réponse à cet échec du tout-utile ne peut alors venir que d'un ailleurs, de la troisième dimension d'une profondeur qui semblait pourtant immergée à jamais. De la perplexité d'esprits dont les calculs ne fonctionnent plus à la complexité requise d'une pensée qui fait face à ce qui lui échappe, on assiste alors à la timide et improbable résurgence d'une humanité à réarticuler.

En miroir, les dessins d'Elizabeth Prouvost désarticulent à rebours le corps humain, insinuent le chaos dans les rouages de la machine morphologique et, de l'intérieur, la dysmorphisent. Du fin fond de ses entrailles les plus secrètes surgissent alors les premières larmes d'un tracé qui en retrouve l'immémoriale vibration charnelle.

Des entrelacs, texte et dessins, naît une histoire d'amour. La Chair en est l'éveil.

« Mon lieu de travail est le lieu de l'insurrection où je cherche l'éclair vif d'une forme de vie ou de mort et aussi un lieu intérieur le plus secret possible. (...) Capter les formes, ne jamais les connaître, les reconnaître, entrer dans l'impénétrable, toujours à la limite. Toucher à l'extraordinaire, travailler sur l'informe, le chaos », écrit Elizabeth Prouvost dans les Cahiers Bataille. À la demande de Louise Lemoine Torrès, elle marie son talent de dessinatrice au texte de La Chair, nouvelle devenue film d'animation diffusé sur ARTE et sélectionné aux Césars.

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