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  3. L'interview de Laetitia Colombani auteur de la tresse et les victorieuses


Laetitia Colombani

Âge : 43 ans

Signe particulier : Je porte toujours mes deux bagues porte-bonheur, elles m'ont été offertes par mon mari, et du coup sont assez symboliques… Elles sont très importantes pour moi.

Traits de caractère : Je dirais 'obstinée', quand j'étais plus jeune, cela pouvait même être 'butée'. C'est un avantage dans ma vie professionnelle parce que ce trait de caractère m'a permis d'avancer. Après, au quotidien, cela peut parfois être compliqué, j'ai tendance à vouloir tout contrôler. J'aimerais pouvoir lâcher prise plus facilement… j'y travaille !

Forte de l'énorme succès de La tresse, Laetitia Colombani revient avec Les victorieuses, un récit à la longue maturation, empreint de force et de détails. Et surtout, au final, un magnifique portrait de femmes.

 

Vos deux personnages principaux, Blanche et Solène, vivent à deux époques différentes, mais sont unies à travers un même lieu : Le Palais de la Femme. Est-ce cet endroit qui vous a donné l'impulsion de départ pour écrire Les victorieuses ?

Il y a 3 ans, pendant que j'écrivais La tresse, je me suis rendue dans le XXIe arrondissement de Paris pour un rendez-vous professionnel. Et je me suis perdue. Je me suis donc retrouvée par hasard devant ce gigantesque bâtiment situé à l'angle de la rue de Charonne et de la rue Faidherbe. Il est inscrit Le Palais de la Femme sur l'énorme façade aux allures de forteresse, et ce  nom m'a vraiment interpelée. Je me suis approchée et j'ai lu l'historique du lieu qui est inscrit sur deux plaques en bronze. J'ai  été fascinée par cette histoire de couvent détruit, devenu un paquebot architectural racheté au final par l'Armée du Salut en 1926, pour devenir l'un des plus grands foyers féminins en Europe jusqu'à ce jour. Je savais que je tenais un sujet intéressant, et à partir de ce moment, j'ai commencé à faire des recherches.

Les victorieuses repose sur deux époques, mais aussi sur deux strates différentes : l'histoire à proprement parler avec en parallèle un côté plus ‘journalistique’, qui s'appuie sur des faits et statistiques précises.

Je travaille toujours de cette manière, que ce soit pour La tresse, mes scénarios ou ici pour Les victorieuses. J'ai passé pour ce dernier roman un an à faire des recherches avant de commencer à l'écrire. D'une part sur l'histoire de l'Armée du Salut et du Palais de la Femme. J'ai rédigé une lettre à l'attention de la directrice de cet endroit particulier en lui expliquant mon intérêt pour le lieu, et j'ai eu la chance qu'elle m'ouvre grand les portes. J'ai visité l'ensemble du Palais, j'ai rencontré tous les employés, les résidentes à plusieurs reprises. Je me suis rendue à des manifestations, à des entretiens afin d'échanger avec les unes et les autres. J'avais besoin de m'imprégner de l'ambiance de cet endroit. J'ai aussi visionné de nombreux documentaires sortis des fonds audiovisuels de l'INAthèque sur la condition de la femme, sur la précarité... J'ai rempli un cahier entier de notes, et je suis allée de mauvaises surprises en mauvaises surprises tant la situation des femmes est encore tellement précaire de nos jours. J'ai tenté de restituer tout cela dans mon roman, sous forme de fiction.

"Pour La tresse, je suis allée au bout du monde,

pour Les victorieuses, je suis allée au bout de la rue"

Ces informations sont trop souvent peu ou mal traitées par les médias.

 

Oui, il y a beaucoup de sujets dont on parle peu ou parfois de façon fragmentée. Je me suis retrouvée avec tout ça, ce qui m'a légèrement bloquée à un moment donné, j'avais trop de sujets à traiter. Je me suis demandé par quel biais j'allais rendre compte de tout ça. J'ai mis du temps à trouver la structure – en deux récits – des Victorieuses, et je me sers d'un personnage, Solène, à la fois extérieure et progressivement reliée au Palais de la Femme et à l'histoire de Blanche, comme fil conducteur. Elle sort d'un milieu protégé, favorisé, et se voir confrontée à un monde, à une réalité qu'elle ne soupçonnait pas. Je m'identifie d'ailleurs beaucoup à Solène et à son expérience.

Vous citez comme traits de caractère l'obstination, la détermination, voilà qui définit les deux personnages principaux des Victorieuses et peut-être même toutes les femmes que le lecteur va croiser dans votre roman.

Oui, absolument, c'est tout à fait vrai. Je me retrouve dans l'obstination et le caractère jusqu'au-boutiste de Blanche. Elle a dédié sa vie à une cause noble, généreuse, c'est une femme très courageuse. Je ne suis pas aussi engagée qu'elle, mais j'ai ce côté jusqu'au-boutiste. Et votre remarque est exacte, je ne l'avais pas analysé, mais toutes les femmes du roman sont en effet chacune très déterminées, que ce soit Binta qui a pris la décision de quitter son pays pour sauver sa fille ou ‘La Renée’ qui a survécu… malgré ses 15 années de galère dans la rue. Elles ont toutes une sacrée force et détermination.

D'une certaine manière, ce qui les sauve toutes, c'est une forme de ‘foi’, pas forcément religieuse…

En tout cas, elles se raccrochent à quelque chose, à des formes différentes de croyance, ou encore en la foi en soi-même. ‘La Renée’ par exemple, qui est quelqu'un de très solide, a toujours gardé la tête haute, s'est accrochée à la partie d'humanité qui lui reste malgré tous les mauvais traitements qu'elle a pu subir, malgré l'indifférence, malgré le fait d'avoir été mise au ban de la société. Blanche Peyron, elle, puise sa force dans la foi qui la guide, elle est extrêmement religieuse : protestante, fille de pasteur… une foi de surcroît évangéliste salutiste (ndr : L'Armée du Salut) qui revêt un aspect politique. Moi, j'ai voulu montrer que son énergie dépasse le simple cadre de la religion, elle était engagée physiquement, moralement, psychologiquement à tous les niveaux pour les autres.

Ce qui lui a aussi permis de dépasser la maladie omniprésente dans sa vie ?

Oui exactement, sa santé a toujours été fragile, elle souffre physiquement beaucoup de son infection des bronches, elle souffre des oreilles, et malgré tout, elle aura combattu jusqu'au bout. Et ce qui est fou, c'est que lorsqu’elle a appris qu'elle était atteinte d'un cancer généralisé, elle l'a gardé secret, et elle a continué jusqu'au bout, elle est morte au combat, dans la lutte. Elle n'a jamais abdiqué.

Vous touchez à une certaine universalité historique, sociale… Vos personnages sont quelque part toutes des femmes ‘emmurées’, à l'image de ces recluses du Moyen- Âge, ayant renoncé au monde.

D'une certaine manière, toutes ces femmes portent des chaînes. Quand vous parlez de ces religieuses emmurées, il faut remettre les choses en perspective. Il faut voir ce que la société avait à offrir aux femmes durant des siècles : elles n'étaient pas éduquées, elles étaient élevées pour être mariées, la plupart du temps sans leur consentement, pour enfanter et rester cantonnées dans un foyer. C'est vrai que j'ai voulu montrer que Blanche Peyron a choisi sa vie à une époque (la fin du XIXesiècle) où les femmes n'avaient ni le droit de vote, ni celui de posséder de compte bancaire, de travailler… Elle a mené une vie d'aventure, sur la route, une vie d'engagement et de mission. Sa démarche a été très moderne, elle a réussi à se libérer des carcans, même mariée et mère de six enfants. Son mari Albi était le partenaire idéal et idéaliste.

Bien entendu, il n'était pas question de refaire La tresse mais pour vous, quels sont les points communs et les différences majeures entre vos deux romans ?

Pour moi, il y a une veine commune, une envie de parler des femmes et de la condition féminine partout dans le monde, et à différentes époques. J'admire la force et la résilience, malgré les souffrances, les frustrations endurées. La tresse m'a emmenée loin de chez moi : en Inde, en Sicile, au Canada, une manière de me plonger dans des cultures et des sociétés fort différentes. Pour Les victorieuses, j'avais vraiment envie d'aller voir ce qui se passait ici, à Paris, où je vis. Pour La tresse, je suis allée au bout du monde, pour Les victorieuses, je suis allée au bout de la rue. C'est un autre voyage…

 

Mon livre de chevet

Les heures de Michael Cunningham, un roman inspiré de Mrs Dalloway de Virginia Woolf. C'est d'une beauté à couper le souffle et c'est un bel exemple de mise en abyme.

Le livre qui m'a le plus touchée

Je relis régulièrement – depuis mes 16 ans – L'amant de Marguerite Duras, une auteure qui m'envoûte complètement. L'amant m'a bouleversée et, à chaque nouvelle lecture, je ne peux m'empêcher de pleurer à la fin. J'en parle d'ailleurs dans Les victorieuses.

Le livre que j'adore offrir en cadeau

Une chambre à soi de Virginia Woolf que je cite dans Les victorieuses. L'auteure y parle avec beau- coup de justesse du lien entre l'écriture, la féminité, le temps et l'espace. Et surtout de cette chambre à soi, espace physique et mental.

Le livre que j'aimerais que l'on m'offre

Alors moi, j'achète énormément de livres, je n'attends pas du tout qu'on me les offre ! (Rire)

Mon disque préféré

The Essentials de Philip Glass, sa musique possède une émotion et une profondeur incroyable. J'utilise parfois ses compositions – entre autres – comme supports pour l'écriture.

Mon film préféré

Sans hésitation, c'est La leçon de piano de Jane Campion. En fait, je suis fan de tous ses films, depuis les débuts. J'ai la chance de connaître un peu Jane Campion, et, c'est amusant, je viens juste de lui envoyer un exemplaire de La tresse paru en anglais. C'est une femme qui a un univers extrêmement fort et singulier. Je suis une fan inconditionnelle. J'ai l'affiche de La leçon de piano depuis 20 ans dans le bureau où j'écris.

 

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