
Avec Dernier bateau pour l'Amérique, un roman empreint de sensibilité, Karine Lambert a su émouvoir et captiver nos lecteurs. Son œuvre, qui aborde avec finesse l’exil, l’amour et les secondes chances, a suscité un véritable engouement. Récompensée par le Prix Lecteur Club 2024 dans la catégorie Roman, elle confirme son talent pour raconter l’humain avec justesse et émotion.
Votre livre est à la fois une enquête familiale et une plongée dans l’Histoire puisqu’il raconte l’exil de votre mère pendant la Seconde Guerre mondiale. Qu’est-ce qui a déclenché ce besoin d’écrire sur elle ?
“À sa mort, j’ai reçu un message d’une mystérieuse cousine d’Amérique que j’avais perdue de vue depuis 50 ans. Le mot 'famille' m’a bouleversée. À partir de là j’ai décidé d’essayer de comprendre qui était ma mère, cette femme avec qui j’avais coupé les ponts et qui ne m’avait jamais témoigné de signes d’affection. En partant de rien, j’ai reconstitué le puzzle pendant un an. D’Odessa à Anvers, de Marseille à Ellis Island, de New York à Bruxelles, à travers quatre générations.”
Cela vous a permis de développer une forme d’empathie à son égard ?
“Oui. Le récit débute le jour de ses 10 ans, le 10 mai 1940, jour où les Allemands ont envahi la Belgique. Plutôt que de souffler ses bougies, elle a dû fuir le pays. L’imaginer à cet âge m’a permis de ressentir de l’empathie pour la petite fille qu’elle avait été.”
Cette investigation a-t-elle été thérapeutique ?
“Écrire un livre sur cette enquête m’a facilité les choses car je déposais au fur et à mesure le fruit de mes recherches sur papier, un exercice dans lequel je me sens à l’aise. Ce travail créatif était finalement plus naturel pour moi qu’une psychothérapie. L’écriture n’efface pas les traumas mais cela m’a permis d’adoucir les angles et de ne plus me focaliser sur ce déficit d’amour maternel. De décoder pourquoi elle avait agi de cette manière avec moi. Et puis, beaucoup de lecteurs m’ont écrit pour me signifier que je les avais bouleversés. Ces retours sont autant de pansements sur ma blessure. Ma mère n’était pas dans l’accueil de ma sensibilité mais le public l’est et ça me fait beaucoup de bien. De manière plus générale, ce livre m’a permis de mieux décrypter mes réactions – la mère surprotectrice que je suis avec mes enfants – et certaines fragilités. Par exemple, j’ai toujours eu des angoisses dans les gares sans pouvoir me l’expliquer. Explorer l’histoire de ma famille en fuite m’a permis de comprendre mes somatisations.”
Vous avez été photographe. Est-ce que ça joue dans votre manière d’écrire ?
“Énormément. Dans la rue, dans le tram, je ne regarde pas mon téléphone, j’observe les gestes, les attitudes. Je me représente d’ailleurs les scènes de mon roman avant de les écrire et on me rapporte souvent que mon écriture est très visuelle."
C’est votre premier roman autobiographique, même s’il comprend également des éléments de fiction. En quoi l’écriture a été différente ?
“C’était un travail délicat car j’ai dû inventer une partie du récit, et c’était un nouvel exercice de prêter des paroles à des personnes que l’on a connues. J’ai beaucoup fait appel à mon intuition. Je mets toujours mes propres émotions dans mes personnages. Si je ressens beaucoup de colère, ils en exprimeront aussi, mais ici, je me suis mise à nu et j’ai hésité avant d’envoyer le texte à un éditeur. Ce qui m’a motivée ? Me dire que mon roman pouvait aider une fille ou un fils à explorer les non-dits et les secrets de famille.”
"Pour ce livre, je me suis complètement mise à nu”
Et ce fut le cas ?
“Oui, j’ai reçu énormément de messages et de mails de lecteurs qui avaient parlé à un parent après l’avoir lu. Les familles complexes, les mères déficientes, le manque d’un parent… même en dehors d’un contexte de guerre, ça touche énormément de gens.”
SA BIO
DU TAC AU TAC
Le livre qui vous a poussée à l’écriture ?
“Les malheurs de Sophie, que j’ai lu à 8 ans. La Comtesse de Ségur a écrit son premier roman, comme moi, à l’âge d’être grand-mère. Mais aussi L’écume des jours de Boris Vian. La liberté de langage, la poésie en prose, les mots inventés… ça m’a beaucoup inspirée !”
Le livre à offrir à un enfant/ado ?
“Le journal de Samuel, d’Émilie Tronche, que je viens d’acheter pour mon petit-fils. On avait regardé la série sur Arte. Ça décrit remarquablement les émotions d’un enfant de 10 ans.”
Un dernier vrai coup de cœur ?
“Les gens dans l’enveloppe d’Isabelle Monnin. L’autrice a acheté un lot de photos sur Internet et elle a décidé d’imaginer leur vie à partir de ces clichés… Elle a ensuite retrouvé les membres de cette famille grâce aux indices. C’est un livre très original, plein d’humanité.”