
Effacer, c'est écarter, éloigner, estomper, dissiper, exclure, annuler, bref, faire
disparaître : mais pour faire apparaître du nouveau. Pour nous affirmer nous procédons
à des effacements qui nous conviennent et nous en affrontons d'autres qui
nous repoussent et que nous devons conjurer ou écarter.
Telle est la démarche exemplaire de l'art qui, dans la cruauté nécessaire de son
geste créateur, efface jusqu'à les détruire des apparences stériles, des figures hostiles
et des mondes anciens : pour conquérir, pour signifier, pour transfigurer, bref,
pour faire apparaître par-delà ce qui est insignifiant, usé ou néfaste, des mondes
neufs.
L'art s'empare de tout ce qui efface, et mérite d'être effacé par le style et le souffle
de l'artiste : les griffes du temps, le gouffre de l'ennui, la mélancolie, l'injustice,
la douleur, l'existence désolée, les visages du désastre et de la laideur. L'art s'empare
de toutes ces figures de la mort dont il fait un défi, son ressort et son levain ;
et c'est pour transmuer toujours l'ombre en lumière.
L'art moderne s'est vite emparé des images de l'homme disloqué dans un monde
déchiré. Si de grands artistes comme Rembrandt, Watteau, Goya, Géricault, Fitzgerald
ont pu peindre ou décrire un effacement fléché vers la Mort, d'autres comme
Delacroix, Cézanne, Matisse, Proust l'ont fait aussi en vue de révéler et d'affirmer
la Vie.
Source de vie, l'art ne peut mourir : ineffaçables sont sa lumière et sa glorieuse
pérennité qui font passer dans un temps porteur de mort des «parcelles d'éternité».
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