
Si les romans de la comtesse de Ségur sont réputés
être aujourd'hui décalés, c'est davantage en
raison de l'univers qu'ils décrivent et des valeurs
auxquelles ils se réfèrent que pour une difficulté
particulière à y décoder mots et expressions. Nous
pouvons toutefois faire l'hypothèse que la langue
de la comtesse n'échappe pas au sort de toute
langue et que des glissements s'y sont opérés sans
que nous y prenions garde. Nombre de mots utilisés
naguère ne seraient pas compris comme ils
l'étaient alors et les valeurs implicites auxquelles
ils renvoient aujourd'hui ne seraient pas celles du
code moral et social en vigueur sous le Second
Empire.
Nous rencontrons chez la fille de Rostopchine
des pestards, des busons, des cafards, des capons,
des grigous qui ne se gênent pas pour prendre un
coup de fil en quatre ; quant aux dames et demoiselles,
n'en doutez pas, ce ne sont pas toutes des
petites filles modèles et nous croisons des piesgrièches,
des pécores, des oisons bridés, des
péronnelles qui font les renchéries. Passons tout
de même à table, puisqu'il y a toujours fricot dans
les bonnes maisons. Connaissez-vous le potage de
gélinottes et becfigues ? Encore un peu de langue
fumée fourrée à la pistache ? Talmouses, croquembouches
ou croquignoles ? Sac à papier ! Ce
n'est pas de la gargote ! Vous ne suivez pas ?
Laissez-vous conduire...
Pour instruire l'affaire, nous avons lu les
oeuvres complètes de la comtesse muni du
Dictionnaire de la langue française de Pierre
Larousse, publié en 1856, confrontation improbable
mais féconde entre l'aristocrate russe exilée et
le fils d'un charron-forgeron de l'Yonne qui
dégustait les mots en connaisseur. Tous les deux
s'étaient promis d'instruire mais aussi d'éduquer
en distrayant.
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