À Rome, cinq siècles avant notre ère, se dessinent les traits d'une forme normative que les Romains ont nommée ius, appelée à devenir la matrice des ordres juridiques de l'Europe continentale. Il s'en faut qu'il s'agisse déjà d'un droit écrit. En fait de textes, Rome n'a laissé avant la fin de la période républicaine qu'une Loi des Douze Tables, qui est en réalité une collection d'énoncés brefs en forme proverbiale, et des recueils de formules destinées à être prononcées rituellement.
Aussi a-t-on cherché une voie d'accès à cet univers dans une anthropologie de la parole. Exploitée dans l'approche de la très ancienne Rome, l'étude des sociétés sans écriture rend tout son sens à une évidence longtemps négligée et mal comprise par les historiens et les philologues : comme l'indique son verbe dénominatif iurare, le ius fut d'abord une parole jurée. Une parole d'alliance et de paix. Autour de cette parole première gravitent d'autres paroles autorisées, celles de la loi, de l'interprète, du titulaire de magistratures ou d'offices sacerdotaux, du citoyen. Leur écheveau compose un champ cohérent, dont l'analyse permet de développer une théorie neuve des commencements de la culture juridique occidentale.