La présentation du raisonnement juridique est marquée par la forme qu'il
prend dans la décision de justice, celle d'un syllogisme logico-déductif, qui
fait découler du texte l'unique solution logique. Cependant, cet habillage
formel masque le raisonnement réellement suivi par les juges pour parvenir
à la solution. Ce raisonnement réel demeure dans le secret du délibéré ;
cependant, il est possible d'en trouver un reflet dans le raisonnement suivi
en amont de la prise de décision, au moment de la préparation de la
discussion.
La présente recherche essaie de décrire le mode de raisonnement alors à
l'oeuvre, sur la base de l'étude de deux années de travaux préparatoires
d'arrêts soulevant une question de principe devant la Cour de cassation et le
Conseil d'État. Il en est ici rendu compte par l'analyse de la façon dont sont
mobilisés les arguments les plus souvent employés : le texte, la doctrine
universitaire et organique, les précédents de la juridiction et ceux des autres
juridictions, l'argument de constitutionnalité, le droit du Conseil de
l'Europe et celui de l'Union européenne, le droit comparé et les
considérations d'opportunité. Chacun de ces arguments a été soumis aux
mêmes questionnements : comment est-il mobilisé ? À quelle fréquence ?
Comment est-il présenté ? Semble-t-il peser ? Est-il mobilisé de façon
divergente ou convergente devant la Cour de cassation et le Conseil d'État ?
Son utilisation rejoint-elle la présentation traditionnellement faite par la
doctrine du point de vue des sources ?
Il apparaît alors que le raisonnement déployé, loin de reposer sur le seul
fondement textuel, dresse un état complet de l'état du droit, puisant à toutes
les sources du droit et soupesant leur autorité persuasive ; loin de prendre la
forme d'un syllogisme, il avance par une succession de choix, qui doivent
autant à des considérations juridiques qu'à des appréciations d'opportunité
ou de cohérence.