«Nulle oeuvre de l'Antiquité chinoise n'est moins chinoise que Les Fables
de Maître Lie. Le livre est travaillé de bout en bout par le désir éperdu de
dépasser les limites de sa propre culture, de franchir les bornes de l'Empire
pour s'affranchir du carcan du ritualisme confucéen et de ses catégories
séparatrices. Il est tout tendu vers l'Ailleurs, un ailleurs qui trouve sa
traduction géographique privilégiée dans les terres du bout du monde et
tout particulièrement de l'Extrême-Occident, comme l'Orient a pu être
pour l'Occident le point ultime de l'horizon utopique.»
Si nous publions, après Les OEuvres de Maître Tchouang, ces Fables de
Maître Lie - autre écrit majeur du taoïsme philosophique, plus connu
sous le titre de Vrai Classique du Vide Parfait -, ce n'est pas que nous
ayons l'intention de «diversifier nos activités» en créant une collection
de «Classiques du taoïsme», mais parce que s'y retrouve la même verve
satirique, teintée ici d'accents utopiques. La liberté de ton, l'audace
critique et la dérision à l'endroit de tout conformisme nous donnent
la mesure de l'étroitesse de nos pensées et de nos moeurs. On se prend à
rêver que ce livre, venu du fond des âges, en redorant pour un temps «le
blason des chimères», parvienne à en tirer quelques-uns du cauchemar
collectif où nous maintient cet univers factice en décomposition.