Nourrir les villes, assurer à leur population un ravitaillement alimentaire
abondant, régulier et à un prix socialement acceptable pour le plus grand
nombre constitua l'un des plus formidables défis auxquels furent confrontées
les économies préindustrielles. La question alimentaire mobilisa de la sorte de
très nombreux aspects de la vie citadine - tant politiques et idéologiques que
financiers, économiques, sociaux, culturels ou encore urbanistiques. Ce livre
tente d'appréhender de manière globale le ravitaillement et l'alimentation
d'une très grande ville médiévale, en prenant en compte toutes ses filières, du
producteur au consommateur. Une première partie est ainsi consacrée à l'approvisionnement
: à la politique qui le sous-tend, à ses provenances et à la
multitude des hommes qui l'assurent. Une seconde partie envisage, en revanche,
la distribution et la consommation à l'échelle urbaine : les espaces dans
lesquels s'inscrivent les activités logistiques et commerciales, les professionnels
de bouche, les circuits commerciaux et les pratiques alimentaires - à l'origine
de l'identité culinaire vénitienne - y sont successivement étudiés. Le choix de
Venise comme poste d'observation nous place là où l'enjeu fut le plus crucial,
mais là aussi où le défi fut le mieux relevé puisque personne - ou presque - n'y
mourut de faim en ces siècles pourtant troublés de la fin du Moyen Âge : cette
cité lagunaire, longtemps dépourvue d'arrière-pays continental, comptait alors,
en effet, parmi les villes plus peuplées d'Occident et il fallut, pour nourrir cet
ogre, recourir à presque tous les marchés du monde connu. L'importance et la
précocité de la politique annonaire vénitienne mais aussi la forme largement
«commercialisée» de ses approvisionnements ont entraîné une production documentaire
aussi abondante que variée, dont a bénéficié cette enquête et qui a
permis son inscription dans la longue durée.