L'humanité m'apparaît comme un immense rucher où se juxtaposent des milliards d'alvéoles séparées par des travées de cire infranchissables. Chacune de ces alvéoles dit et pense « Moi je ». Elle veut aimer, être aimée, jouir plus qu'elle ne souffre, elle trouve juste chaque bonheur, cruelle chaque douleur. Pour appeler ces bonheurs, écarter ces douleurs, chacune se structure une pensée magique autour d'une divinité, d'une philosophie. Mais pour chaque alvéole, quelle importance ont les autres qui pensent et ressentent, partagent ou ne partagent pas son illusion de la divinité, de la philosophie ?
À l'aube de sa septième décennie, Yvan Jankovic, fils d'apatrides naturalisés après la catastrophe de Marcinelle, réfléchit sur la Vie avec majuscule et rumine les menus événements de sa propre existence, banale parce que « des pareils à nous », quelles que soient leurs aptitudes, ne peuvent pas espérer mieux. Dans la maison de retraite qui a succédé au sanatorium où son père est mort de silicose, il conduit sa mère à la messe. Sa voiture dérape dans le blizzard. Il médite dans son antre de silence sur les séquelles d'un catholicisme qu'il a rejeté mais dont les concepts moraux tordus ont handicapé ses émotions. Et entreprend la première évasion de sa vie pour veiller Noël avec d'improbables compagnons. Avec toujours, en filigrane, les strates d'immigrations dont le mixage a fait notre pays.