Orphelin dès l'âge de deux ans, mal aimé de son père adoptif,
puis rongé toute sa vie par les soucis d'argent, par la
drogue et l'alcool, Edgar Poe a sans doute eu pour destinée
ce que Baudelaire appelait une «lamentable tragédie».
Et cependant, quelques années seulement après sa mort,
l'Europe s'empare de son oeuvre, Baudelaire traduit plusieurs
textes en prose, Mallarmé certains de ses poèmes : la renommée
de Poe est immense, et bientôt Valéry pourra évoquer
à bon droit «tout ce que doivent les Lettres à l'influence de
cet inventeur prodigieux».
Inventeur, sans doute, de cette forme de conscience littéraire
aiguë dont témoignent La Genèse d'un poème et Le Principe
poétique qui ont marqué tant de poètes français depuis
la fin du XIXe siècle. Inventeur, également, du roman policier
et de la figure du détective amateur incarnée par Auguste
Dupin - mais aussi de cet univers d'étrangeté que les
Histoires extraordinaires, les Histoires grotesques et sérieuses
aussi bien que Gordon Pym ont très tôt révélé et qui fera dire
à André Breton que «Poe est surréaliste dans l'aventure».