Plus d'un quart de siècle s'est écoulé depuis les années noires de l'occupation.
Ces «cris sourds du Pays qu'on enchaîne», les jeunes de 1971 réalisent mal quelle somme d'horreur et d'héroisme ils évoquaient alors.
Pour que l'on n'oublie pas, pour que l'on sache de quel prix a été achetée la Liberté par ceux qui ne voulaient pas de l'esclavage, il faut que des voix s'élèvent constamment, dans la paix rétablie, pour témoigner. Et quel témoignage peut être plus convaincant, plus poignant que celui du docteur Pierre Fugain, Mickey dans la Résistance, révélant au public, avec l'Histoire du Réseau Coty dont il a été un des chefs, les grandeurs et les servitudes de la vie quotidienne de ces agents de renseignements, «espions de la France au combat», rivalisant de courage, de sang froid, d'ingéniosité, de ruse, pour accomplir la mission qui leur était impartie ?
Mécanisme aux multiples rouages, rôdé au fil des jours par la discipline et l'esprit de sacrifice de ces hommes qui, d'un bout à l'autre du territoire, constituaient une redoutable Armée des ombres, à la merci cependant de la moindre dénonciation, de la moindre parole ou du moindre geste imprudents ! Le docteur Fugain en explique au lecteur le fonctionnement complexe avec une précision et une clarté servies par son extraordinaire mémoire.
Tout au long de ces pages, ceux des Grenoblois qui n'ont pas oublié le sort fait à leur ville en 1943 et 44, revivront des heures tantôt sombres ou éclairées d'espoir, retrouveront au bout de plus de vingt cinq ans, reconstituée avec émotion par l'auteur, l'atmosphère de leurs rues aux chaussées martelées par de sinistres patrouilles, tandis que les agents du Réseau Coty, décapité quelques semaines avant le Débarquement, et miraculeusement remis sur pied, assuraient jusqu'à la Libération, essouflés mais pleins d'espoir, leur tâche de tous les instants, exaspérant l'occupant par leurs astuces, leur audace, la formidable sûreté de leur information.
A tous ceux qui ont ainsi contribué au succès final, pour une part trop souvent méconnue parce qu'ils étaient anonymes et ne recherchaient pas la gloire, le docteur Fugain rend dans son livre un hommage fraternel, auquel se mêle sur la fin un sentiment justifié d'amertume, à travers les désillusions ultérieures et devant le spectacle de tant de coupables impunis.
Il nous remet en mémoire, avec fermeté, la reconnaissance dûe à ces soldats sans armes n'obéissant qu'à leur conscience, hommes et femmes des Réseaux, du sien en particulier, recrutés dans tous les milieux : des cheminots aux ingénieurs, des fonctionnaires aux employés d'hôtel...
Guerriers improvisés, ils ont donné à leurs concitoyens, dont beaucoup se laissaient malheureusement endormir dans une passivité maussade, un exemple que ce livre grave met en lumière, en faisant alterner une documentation technique, des listes de noms et des données statistiques indispensables, avec des anecdotes et des portraits pleins de vie, où se recrée le climat d'une époque qui a vu se jouer, selon les propres termes d'un des principaux acteurs de ce récit, l'«avenir du monde».
Pour ceux qui auraient tendance à l'oublier, à l'ère assez peu exaltante de la société de consommation, « Ici l'Ombre» est un passionnant et sérieux rappel.
Robert AVEZOU
Archiviste départemental honoraire Président du Comité du Musée de la Résistance et de la Déportation de Grenoble.

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