
L'État est souvent représenté comme une entité bureaucratique abstraite
et neutre. Or il se constitue à travers des discours, des pratiques et des
relations qui en font une réalité concrète et située, s'incarnant dans le
travail de ses agents et s'incrivant dans les enjeux de son temps. C'est ce que
montre cet ouvrage, produit d'une enquête de cinq années, qui décrit et analyse
le fonctionnement de la police, de la justice, de la prison, des services sociaux
et de la santé mentale. Ces institutions ne sont certes pas tout l'État, mais
elles ont affaire, en large part, aux mêmes publics issus de milieux populaires,
d'origine immigrée ou appartenant à des minorités.
Au fil d'une étude qui associe généalogie et ethnographie, il apparaît que la
prise en charge de ces populations procède, au sommet du pouvoir comme
dans le quotidien des interactions, non seulement de l'application de règles
et de procédures, mais aussi de la mobilisation de valeurs et d'affects, de
jugements formulés sur des groupes ou des personnes et d'émotions ressenties
devant des situations ou des actes : elle exprime la morale de l'État. Nourrie
des débats autour de l'immigration et de l'asile, de la délinquance et de sa
répression, de la responsabilité des individus et du rôle de la solidarité, cette
morale met en tension un État social en recul, un État pénal en expansion et
un État libéral qui attend toujours plus de ses sujets. Comprendre cette raison
morale si souvent refoulée, c'est ainsi repenser le politique.
Nous publions uniquement les avis qui respectent les conditions requises. Consultez nos conditions pour les avis.