Dans le fragment «le Tranquille Désespoir», Kierkegaard dépeint
son face-à-face avec le père comme un vertigineux rapport
d'identification mimétique à l'Autre. À partir de là, se laisse analyser
à divers niveaux la constitution en miroir de la subjectivité
kierkegaardienne : d'abord, dans la pensée même du Danois, dont
elle éclaire en profondeur les présupposés ; ensuite, dans la relation
complexe qui l'unit à deux penseurs clés de la modernité, Hegel et
Heidegger. Si la scène spéculaire entre père et fils reproduit en
quelque manière le paradigme spéculatif d'un sujet structuré
comme puissance de réflexion ou de retour sur soi, elle ne manque
pas en même temps de s'en écarter, de briser, brouiller, obscurcir le
pur miroir en lequel prétend se réfléchir l'Esprit hégélien. Quant à
Heidegger, s'il prétend dépasser l'existentiel dont se réclame
Kierkegaard vers un lieu plus originaire de la pensée (un lieu où la
pensée s'ouvrirait à l'Être «en propre»), on peut se demander, à
l'inverse, s'il ne serait pas dépassé par une pensée qui use de toutes
les ressources de l'écriture (jeux de miroirs, dédoublements
mimétiques...) pour déconstruire l'être-propre du sujet en marquant
son rapport inextricable à l'altérité.