Le 11 mars 2011, lorsque je suis revenue dans ma maison des
champs, j'ai découvert que des cambrioleurs avaient emporté
deux grandes malles contenant tout mon passé : plusieurs
décennies de journaux intimes, vingt ans de carnets de travail,
toutes mes photos et ma correspondance. En somme, je venais
de perdre la totalité de ma mémoire. Étrange deuil à traverser :
j'étais celle qui avait perdu son bien le plus précieux et, en même
temps, ce qui était perdu était... moi-même.
Face à dépouillement si radical, le soir de ma découverte j'ai
commencé à tenir le journal de ma perte pour essayer de
l'assimiler. Qu'est-ce donc que la mémoire ? Et l'oubli ? Pourquoi
être si attachée à des journaux intimes ? De quoi la disparition
des lettres d'amour me privait-elle ? Qu'est-ce que le présent ?
Chaque fois la réponse tenait à la nature de cette sorte d'écrits :
liés au vivant, à l'individu, au singulier, ils sont comme la chair
du temps, périssables et pour cela même infiniment précieux.
Il fallait résister à la mélancolie. Je lui ai opposé le désir du livre.