Ivan Mazuranic (1814-1890), qui fut le premier ban (gouverneur) roturier
de la Croatie alors sous administration austro-hongroise, est l'auteur
d'un des chefs-d'oeuvre de la littérature de son pays, traduit en maintes
langues étrangères, La Mort de Smaïl-aga Tchenguitch, un poème en cinq
chants, composé de 1134 vers.
Inspirée d'événements réellement survenus dans la première moitié
du XIXe siècle, La Mort de Smaïl-aga Tchenguitch raconte une histoire somme
toute assez banale en son temps, représentative des rapports turco-monténégrins
et, plus largement, turco-slaves au cours des siècles durant
lesquels les Slaves du Sud vivaient sous la férule de l'Empire ottoman.
Présenté comme un «preux», mais aussi comme un homme particulièrement
cruel, l'aga Tchenguitch est un tyran d'Herzégovine qu'une
compagnie monténégrine - dépêchée secrètement par le «seigneur» de
Cetinje, Petar II Petrovic Njegos (1813-1851) - et des membres de la tribu
Drobnjaci tuent en 1840 à Mljeticak, le jour où «la bête féroce» vient sur
le territoire de cette dernière percevoir son tribut, le harac.
Considéré comme un «chant de haine» par certains, La Mort de Smaïl-aga
Tchenguitch l'est assurément, non pas d'incitation à la haine de son
prochain, mais de haine contre la tyrannie et les tyrans, une haine libératrice
que, aux yeux du poète, justifie l'atteinte à la liberté et à la dignité des
peuples et des personnes commises par les puissants et les impérialismes.