La sagesse du désir
Notre condition humaine est marquée par l'irréductible écart qui sépare notre idéal de notre réalité, ce que nous aimerions être de ce que nous sommes : c'est toujours depuis ici, par en dessous, que nous envisageons une élévation vers la sagesse, la joie, l'harmonie. Comme un horizon restant à distance. Nous vivons en nous efforçant de réduire cet écart qui simultanément nous blesse et nous anime et qui est le ressort même du désir. En revanche le mal qu'on se fait à soi-même consiste à briser l'écart, c'est ce que j'appelle « la rupture ». Soit on prétend s'approprier un état de perfection qui ne
laisserait plus rien à désirer, quitte à anéantir tout ce qui sépare le réel de l'idéal : ce sont les bonheurs illusoires et les utopies
modernes qui commencent dans le rêve d'un monde meilleur et s'achèvent dans le cauchemar de l'inhumain. Soit on réduit l'écart en repliant, au contraire, le désir sur ce qui est plus immédiatement accessible : tel est notre individualisme post-moderne, hédoniste, nihiliste et cynique. L'un détruit le corps, l'autre l'esprit, l'un notre identité, l'autre la transcendance. Dans les deux cas, le souhait d'apaiser notre inquiétude aura brisé le ressort de l'existence humaine. Comprendre ce qu'est l'écart pour le réduire sans le détruire revient à retrouver la force et la sagesse du désir. Voilà une idée toute simple. Mais centrale. Si fondamentale qu'elle était restée cachée, si profonde que plein de riens la recouvrent. Que nous dit-elle sur nous ?
Sur la philosophie dont nous avons besoin ? Et si elle nous éclairait sur la question du mal, sur notre destinée, sur le temps qui passe et sur nos désordres moraux, amoureux et sociaux ? Et même sur notre propre culture chrétienne que notre monde semble incapable de comprendre ?