Thomas De Quincey (1785-1859) a «révolutionné
la prose d'une façon comparable à Wordsworth
et Coleridge pour la poésie» (Judson S. Lyon) et
profondément marqué Poe, Baudelaire, Emerson,
Dickens ou Proust. Pourtant, on ne connaît guère
de lui que ces énigmatiques Confessions d'un mangeur
d'opium anglais, et il a longtemps été considéré comme
un romantique mineur, éclipsé par les grands «maîtres».
Il a néanmoins su faire vibrer dans sa prose la musique
et l'intensité émotionnelle de la poésie lyrique. Il s'est
toujours montré déroutant, excentrique, inclassable,
et il a fait oeuvre de pionnier en introduisant dans
ses peintures de la vie (particulièrement la sienne)
une aura fictionnelle, un sens dramatique aigu, et
une réflexion philosophique complexe. La finesse
et la modernité de son «anatomie de la douleur»
préfigurent la psychologie du XXe siècle. De fait, cette
oeuvre, par-delà son ancrage romantique initial, possède
une puissance intellectuelle et affective intemporelle :
il s'agit d'un jalon indispensable de la littérature
qui dépasse le seul domaine anglophone et mérite
l'attention de spécialistes d'autres disciplines. Car De
Quincey nous a livré des écrits autobiographiques
majeurs élaborés pendant près de quarante ans, et
une analyse du temps, de la mémoire, du deuil et
de la hantise - ces réalités poignantes qu'il avait
expérimentées, et auxquelles il avait réfléchi, pendant
toute sa vie, dans la douleur, mais avec lucidité,
courage, et passion. Le dialogue, parfois «muet», qu'il
a instauré avec la mort et l'indicible est plus éloquent
que jamais pour nous qui, au XXIe siècle, savons lire et
comprendre la poétique et les voix du silence, même
quand tout semble se taire ...