Comment se maintiennent les dictatures ?
À partir du cas de la Biélorussie où l'auteur a vécu plus de cinq années et où il a pu conduire des enquêtes auprès de travailleurs de la terre, de « moujiks », de kolkhoziens, de tractoristes, de trayeuses mais aussi d'enseignants de lycées agricoles, d'artisans, de prêtres, de braconniers ou de villageois retraités, il a été possible de mettre en lumière plusieurs mécanismes d'assentiment à la tyrannie au-delà de la capacité de contrôle et de répression du régime qu'il ne faut pas sous-estimer.
Apparaissent le jeu avec les marges, les arrangements, les illégalismes et les capacités diverses à satisfaire ses ambitions matérielles. C'est aussi un monde moral, porteur de solidarité et de dignité, en somme doté de sens, qui émerge des paroles recueillies et des pratiques observées.
Cette économie morale s'accompagne d'un désir de stabilité et de sécurité qui se traduit par une nostalgie puissante des vertus attribuées au monde soviétique et par la volonté que rien ne change. Comme on s'arrange avec la tyrannie et qu'on peut même y trouver des bénéfices secondaires, on soutient de manière distante ou assumée Alexandre Loukachenko, le « satrape de Biélorussie » (Karbalévitch).
Au-delà du cas biélorusse, l'ouvrage invite à une réflexion documentée et vivante, loin de tout écueil théorisant, sur la « servitude volontaire » (La Boétie) et « le goût des tyrans » (Tocqueville), à l'heure où l'évidence démocratique semble largement remise en cause par les entreprises illibérales ou par les projets ouvertement autoritaires, en Europe et dans le monde.
L'ouvrage propose une plongée dans le quotidien de la dernière dictature d'Europe, la Biélorussie, où l'auteur ethnographe donne largement la place à des personnages parfois épiques, à leurs histoires familiales, à leurs souffrances, à leurs secrets, à leurs peines et à leurs joies, tout en proposant une réflexion générale de philosophie politique sur le consentement à la domination.