Après l'âge d'or de l'Antiquité, où il constitua un enjeu
éminemment politique et philosophique, le motif
de l'amitié a perdu de son éclat. Au lendemain de la
Deuxième Guerre mondiale, des philosophes s'en emparent
à nouveau et le replacent au coeur de l'activité de
pensée. Maurice Blanchot le premier, Gilles Deleuze,
Jacques Derrida, Michel Foucault, Roland Barthes ensuite ;
ensemble, ils ont contribué à rendre à l'amitié sa dignité
philosophique en faisant de celle-ci non plus une catégorie
affective mais conceptuelle, sinon impersonnelle.
L'amitié telle que ceux-ci la conçoivent, la représentent et
la vivent s'affirme sous le signe d'un refus absolu. Refus
d'une identification aux dogmes, aux lois, aux normes, aux
présupposés, à la nécessité, et jusqu'à la volonté. Comme si
l'amitié n'avait plus aucun contenu positif, qu'elle ne coïncidait
jamais avec elle-même, qu'elle ne se définissait que contre,
dans le rejet de la transcendance, du visage même.
Figure de l'Intraitable, le nom d'amitié incarne pour cette
génération le pur espace d'affirmation d'une pensée
révoltée.