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1886, entre Saint-Dié et Sélestat, la frontière franco-allemande zigzague entre les dernières batailles de son tracé. Il pleure encore des veuves dans tous les camps, et l’armée, des deux côtés, patrouille... et se renseigne. Les états-majors usent de stratégies qui n’ont rien à envier à celles de nos guerres froides. Les fantômes des anciennes batailles se mêlent au cortège camouflé des civils en résistance dans les rues des villes et les chemins de la montagne. Au beau milieu de ce tourbillon d’après-guerre qui refabrique la géographie de l’Est de la France, une énigme inscrite sur la terre d’Alsace tenaille le cœur d’un jeune officier de la cavalerie allemande, Manfred Wilderhof. Au-delà de l’Histoire, la grande, celle qui fait date comme un phare lançant des signaux entrecoupés de ténèbres par-dessus la tempête, on découvre un dormeur du val dont on porte volontiers les rêves à bout de bras et de souffle. L’Europe d’alors n’est toujours qu’une déesse aux yeux clairs, mais les frontaliers d’Alsace et de Lorraine rebaptisées Reichsland, mesurent l’écart de leur langue avec celle de l’occupant. Lorsque le silence d’une jeune française, Catherine, indique soudain le poids de tout ce qui s’est tu, la quête de Manfred s’éclaire à l’étincelle d’un plus profond mystère, intemporel celui-là, mais tellement vivant. L’amour est en marge de l’histoire, comme la trame invisible de tous ces faits que ne relateront jamais les manuels. Heureusement pour les lecteurs buissonniers qui peuvent trouver à l’Histoire et à ses dates, un arrière-goût amer, il y a le roman, qui restitue le lien avec l’humanité qui les a vécues. C’est là la raison d’être de ce livre que de ne plus nous rendre dupe des schémas magistraux qui voudraient expliquer les identités culturelles – ici, régionales – et surtout de laisser ici un passage, un vrai, sans douane ni panneau touristique, entre ceux qui partagent, avant tout, un certain état d’esprit hors de tout découpage : ce goût immense pour la liberté. Jean-Marc Neuville