On s'est beaucoup moqué des banquets politiques, de «cette éloquence
d'automne semée autour de tables bourgeoises et arrosée de vins du cru»
(Lamennais). Comment prendre au sérieux en effet ces agapes, à nos yeux si
prosaïques en pleine exaltation romantique, mais aussi ridiculement effusives
dans une époque qui vouait un culte à la rationalité politique ? Et pourtant,
aujourd'hui encore, chacun sait que la cause immédiate de la révolution de
Février 1848 fut l'interdiction par Guizot d'un banquet réformiste, celui du
XIIe arrondissement de la capitale. Bon nombre de contemporains en restèrent
perplexes : comme nous, ils n'arrivaient pas à comprendre comment une décision
apparemment anodine avait pu avoir de telles conséquences.
Aussi fallait-il reconstituer une histoire qui n'a jamais été écrite, celle d'une
forme disparue du répertoire politique. Le banquet n'est si étrange à nos yeux
que parce que nous avons indûment valorisé Gavroche et Tocqueville, la barricade
et le parlement. Décrire les banquets, pour d'abord mieux comprendre
la sociabilité du premier XIXe siècle, et reconstituer la culture politique de
toute une génération, qui savait jouer des symboles et de l'implicite, et qui,
après la Révolution et le despotisme napoléonien, cherchait sa voie dans
une période décisive pour l'apprentissage de la liberté et de la démocratie.
Puis faire toute sa place à un imaginaire dont nous avons oublié la richesse
et les multiples enjeux. C'est, en définitive, s'interroger sur la nature même
du lien politique, au-delà des discours et des institutions.