Au XIXe siècle, la transformation de l'esclavage en salariat a partout
rencontré de grandes difficultés. La Russie, qui supprime le servage
en 1861, n'y a pas échappé. Mais parce que le servage était un
élément sur lequel était construite la société russe, le remettre en
cause revenait à la transformer totalement.
Cet ouvrage, qui traite de la rupture majeure créée par cette abolition,
met en valeur les combats qui l'ont précédée. Il étudie aussi la façon
dont l'État impérial a favorisé le développement du capital, porteur de
la modernisation de la Russie, projet repris ultérieurement par l'État
soviétique.
Cette étude s'appuie sur des textes publiés par des hommes proscrits,
réfugiés en France dont Nicolas Tourgueneff (1789-1871), Alexandre
Herzen (1812-1870), Pierre Dolgorouki (1816-1868), analysant les
conséquences du servage en Russie et la nécessité de l'émancipation.
Ces auteurs, auxquels s'ajoutent Ivan Tourgueniev (1818-1883)
et Nicolas Troubetskoï (1807-1874), issus de la meilleure noblesse
russe, tirent de leur position une légitimité qui les fonde à proposer au
pouvoir autocratique une nouvelle organisation politique. Pour eux, la
suppression du servage était inéluctable puisqu'elle était l'expression
des mutations économiques et sociales et du développement du
capitalisme. Au-delà, elle posait la question de la noblesse et de son
devenir dans la société russe en voie d'industrialisation. Mais avec
l'émancipation des serfs en 1861, le combat n'était pas terminé ; il allait
imposer une transformation politique portant en germe la révolution.