Voici un homme qui n'avait pas de talent évident pour l'art. Il n'avait pas plus de talent pour la vie
bourgeoise. Il n'eut ni femme ni enfant. Il se vouait à la carrière religieuse, mais, rongé par le doute, choisit de
devenir artiste. Privé de toute reconnaissance, il s'acharna néanmoins, sans douter de son génie, un génie simple et
humain. À force de persévérance, il parvint à créer une oeuvre universelle. Il se plia d'abord à une observation minutieuse des
gens du peuple, pauvres et laborieux. Il exécuta de nombreux dessins, au trait appuyé, emplis de compassion, bien loin des
peintures flamboyantes de la maturité. Dans les paysages de la campagne hollandaise, il comprit à sa façon l'infini des
routes et la densité des arbres. Pourtant, les premiers dessins de Vincent Van Gogh n'ont rien de pittoresque. Ils expriment
un appel à une humanité délivrée de ses traumatismes, une humanité nouvelle, telle que Friedrich Nietzsche, le
contemporain du peintre, l'avait aussi méditée. Ce sont ces dessins de jeunesse qu'a choisi d'examiner le jeune Paul Nizon,
alors étudiant en histoire de l'art. On y décèle déjà l'écrivain précis, à la complicité profonde, au lyrisme mesuré.