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Plus de quinze ans ayant passé, un homme — le narrateur — essaie de ressusciter, de fixer ce qui fut l’un des grands moments, le plus grand moment de son adolescence : la conjonction de celle-ci avec la guerre, pendant l’été de 1944. Pour échapper au Service du Travail, il a dû se cacher dans une petite ville où le hasard lui a fait rencontrer une jeune femme plus que libre, Marité. A demi oublieux de sa petite amie Jacqueline, il a vécu avec Marité une passion toute sensuelle, en vase clos, sous les vols des bombardiers, les menaces des Allemands en retraite et les tumultes de la libération. De la guerre, il n’a donc connu, somme toute, que les dentelles (et l’on donnera à ce mot tous les sens que l’on voudra), dentelles que la guerre elle-même s’appliquait à saccager. Et son récit les reconstitue avec une ingénuité lucide, une finesse d’attention et de touche qui n’en laisse rien ignorer. A notre connaissance, ce roman est le premier où s’exprime, transposé sur le plan de l’analyse amoureuse et sensuelle, le fantastique et le romantisme de cette époque. Certaines observations, certaines pages, constituent un remarquable document sur la psychologie — individuelle et collective — de ces semaines fiévreuses où les faits, les idées, les amours, l’arrêt des trains, les ruptures, le don des femmes, les drames historiques se tassaient dans les fractions les plus étroites de la durée. Et c’est là qu’entre en jeu l’art très personnel de l’auteur. Plus que la légère Marité, que Jacqueline, adolescente curieuse et craintive, plus que le narrateur tâtonnant dans son petit dédale sentimental, le personnage essentiel de cette tragi-comédie est l’instant. C’est l’instant, fugitif, transitoire, presque inexistant, qui est ici surpris, saisi, immobilisé, puis disséqué dans tous ses détails, ses richesses, se réfractions et ses prolongements. On dirait qu’il y a beaucoup à attendre de Jean Dubacq si Les Dentelles de la Guerre n’étaient une réussite, et de rare qualité.