Pour les écrivains qui se soucient de musique, les malheurs
d'Orphée renvoient aux grandes crises de la modernité.
Poulenc, Berg, Beethoven, Wagner et d'autres construisent
un «absolu musical» qui culmine à la fin du XIXème siècle.
Mais que valent les pouvoirs d'Orphée face aux malheurs du
monde ?
En dessinant une frontière impalpable, l'écoute cherche
à restaurer une harmonie perdue. Géographique, corporelle,
générique, la frontière retarde et retient Orphée. Le héros cesse
de chanter pour devenir oreille, tel le roi de Berio et Calvino,
inspiré par Barthes. Entre séparation et réparation, l'oeuvre de
Quignard a l'espoir de transformer le regard en arrière en un
regard de vie.
La frontière passée, la remontée peut commencer. En rétablissant
la toute-puissance de l'opéra chez Vian et Soupault,
Orphée redonne sa force au chant. Ravel remonte du silence
grâce à Fargue. Et Giono restaure le chant du monde et de
la littérature, pour fondre les figures d'Orphée et d'Orion.
Descendu aux enfers, hésitant au bord de la frontière, confiant
dans l'optimisme de la remontée, Orphée est un éternel
passant.