Ce roman violemment «érotique» d'Apollinaire est paru en
1907, signé simplement de ses initiales, G. A. La paternité de
ce texte ne fait aujourd'hui aucun doute. Les Onze mille verges
relatent les tribulations du prince roumain Mony Vibescu, à
travers l'Europe, de Bucarest à Paris, et jusqu'en Chine, à Port-Arthur,
où il meurt flagellé par un corps d'armée, pour avoir
failli à son serment : «Si je vous tenais dans un lit, vingt fois
de suite je vous prouverais ma passion. Que les onze mille
vierges ou même les onze mille verges me châtient si je mens !»
Sous-titré Les amours d'un hospodar, ce roman fait preuve
d'une fantaisie débridée et délirante dans le passage en revue de
toutes les formes possibles et imaginables de pratiques sexuelles,
sadisme, masochisme, zoophilie, scatologie, bravant ainsi tous
les interdits de la censure... En poète à l'humour ici volontiers
noir, Apollinaire se livre avec virtuosité à une orgie verbale qui
manifeste son goût hors du commun pour la langue française.
L'originalité de cette édition tient à la préface retrouvée
qu'écrivit Aragon pour une édition des Onze mille verges parue
à Monte-Carlo en 1930, à l'initiative de René Bonnel qui avait
publié en 1928 Le Con d'Irène, d'Aragon, sous le pseudonyme
d'Albert de Routisie. Dans cette préface, Aragon exprime son
attitude envers Apollinaire, mêlée d'agacement pour ses élans
patriotiques et d'admiration pour sa poésie, l'inlassable esprit
de curiosité qu'il manifeste ici aussi. «Il reste à faire de la
liberté, écrit Aragon, des abus divers, et précieux.»