Sur un chemin singulier, Patrick Modiano sème, depuis quatre décennies, romans
ou récits que leur couleur autobiographique rapproche. Il en est pour s'irriter de
cette monodie passéiste. Nous choisissons au contraire de nous intéresser au trajet
obstiné d'une oeuvre qui réaffirme inlassablement l'urgence de dire ce qui fait
trou dans une identité, et la nécessité absolue de transcrire les intermittences de
la mémoire, de leur faire prendre langue. Intermittences de la mémoire individuelle
? Sans doute, mais celles-ci se voient étrangement confondues avec les
intermittences de la mémoire collective sur les pans ombreux de notre Histoire.
La force de cette oeuvre contemporaine tissée de mélancolie est peut-être là, dans
cette manière inimitable de repérer des discontinuités existentielles ou de
douloureux suspens de la mémoire et d'y trouver remède par une écriture inventive,
aux parrainages multiples, qui se renouvelle subtilement et se joue des codes
littéraires et des étiquettes génériques trop étroites.
Notre réflexion, que balisent les apports critiques de vingt-quatre chercheurs
d'horizons pluriels, vise à mettre en lumière la haute densité de textes traversés par
l'hypothèse, toujours reformulée chez Modiano, des conjonctions obligées et des
courts-circuits potentiels du passé et du présent.