Si vélocipédie et ovalie apparaissent, dès le XIXe siècle, comme des disciplines particulièrement prisées des Bordelais et des Girondins, l'aviron, le football, la boxe, l'escrime ou encore le patinage connaissent également leur heure de gloire. Une véritable effervescence se produit, avec son lot de drames (terribles accidents du Paris-Madrid automobile de 1903, disparition tragique des aviateurs Issartier ou Delagrange) et ses nombreux exploits (triomphes de Daniel Lawton, temps béni du SBUC), qui contribuent à tisser le trépidant récit des origines du sport jusqu'à la Première Guerre mondiale.
À travers un flux d'images exceptionnelles qui font revivre les prouesses d'un jour comme les performances les plus héroïques, Francis Gonzalez offre un éclairage inédit sur toute une société en pleine mutation. Tandis que paysans, ouvriers et employés trouvent dans l'athlétisme, la natation ou la gymnastique des moyens de mettre à profit leurs qualités physiques, l'aristocratie et la bourgeoisie investissent le domaine des loisirs en s'exerçant au golf, au jeu de paume, au yachting ou à l'équitation. Des baraques foraines où s'exerçaient les premiers lutteurs aux courts de tennis de Primrose, des bords de Garonne aux greens d'Arcachon et de Caudéran, la démocratisation sportive est en marche, à l'heure où Pierre de Coubertin rallume la flamme des Jeux Olympiques.
Gonzalez, le Maillot
Des Gonzalez, dans le sport, vous en connaissez en boxe, comme celui qui a été médaillé d'argent contre Lagutine, en athlétisme, vous vous souvenez aussi d'Alex, le grand, et de Francis, le moustachu, et en rugby, vous avez toujours sur la rétine le talonneur de Biarritz et des Bleus. Le mien, c'est un Maillot Jaune, le maillot jaune de mes correspondants, le maillot jaune des collectionneurs, et surtout le maillot jaune des historiens régionaux. Son Tour à lui, c'est celui de la nostalgie du sport en Gironde. Quand certains bobos entendent le mot nostalgie, il paraît qu'ils sortent le revolver. Qu'ils le sortent donc, et comme ils ne sont pas complètement bobos, qu'ils donnent le départ, car l'ami Francis nous convie à l'une des plus belles plongées dans le passé que j'ai vues.
Francis Gonzalez, le consciencieux petit facteur talençais que rien ne semblait destiner à la collection sportive et à l'histoire du sport, est en effet devenu, en l'espace de quelques années, un maître en conjugaison de ces deux domaines. La passion maîtrisée, la curiosité, la perspicacité et le talent expliquent en partie cette réussite exemplaire. La complicité de son épouse et de ses enfants, l'appartenance à l'ASPTT, et un amour jubilatoire de la course à pied, des Girondins, et de sa région sont les autres moteurs de cette réussite. Oui, en l'espace de quelques années, Francis s'est hissé au niveau des meilleurs collectionneurs intelligents du sport, ceux capables de prolonger leur collection. Chercher, préserver, classer, compléter, se documenter aux archives et mettre en valeur et expliquer, pour partager, à la faveur d'expositions aussi solides et joyeuses que captivantes, c'était déjà énorme, mais là, avec ce livre Naissance des sports en Gironde, notre gaillard franchit incontestablement un cap.
Cet essai survolant méthodiquement l'histoire de toutes les disciplines en Gironde, rehaussé d'une iconographie exceptionnelle, fruit d'années de recherches et d'historiques aussi précis qu'enlevés, lui permet en prime de faire une entrée en fanfare dans la cour des grands. Et ce, même s'il ne s'en rend pas compte, parce qu'il est profondément humble et timide.
Ce travail exceptionnel prend un relief d'autant plus considérable qu'il permet de rendre son dû à la Gironde, celui de première capitale du sport français. Oeuvre de passion, et oeuvre de justice, ce volume qui, je l'avoue, m'épate à chaque page, doit également procurer un grand bonheur à deux chercheurs aquitains oubliés, je veux parler de Gabriel Belliard en cyclisme, et d'Albert-Pierre Forsans en rugby. Ces deux admirables pionniers avaient jadis montré qu'en matière de vélocipédie, comme d'ovalie, la Gironde avait été reine dans les années 1880-1900. Francis a dépassé, embelli et élargi leur socle, creusant plus profond, appréciant l'apport des images, s'intéressant au football, à l'aviron, à la natation, à la voile, à la lutte, à la boxe, ou à l'automobile... sans parler de la presse sportive, de ses grands journalistes, photographes et caricaturistes, et sans omettre les stades et vélodromes. Bref, sans a priori et sans répit, le facteur a poussé toutes les portes, y compris les moins évidentes. Moyennant quoi, à l'arrivée, vous avez ce travail, il faut bien le dire, unique. En s'appuyant sur une collection exceptionnelle bâtie sur des coups de coeur et enrichie de belles rencontres, le créateur de Sportmania, le premier salon français des collectionneurs de sport, nous régale ici avec un authentique musée portatif du sport bordelais. Ce que les pouvoirs publics n'ont pas eu le temps ou l'idée de faire, Francis l'a fait, tout seul. Et nous le fait partager avec ferveur, et panache.
Oui, ici, vous allez vous faire décoiffer en découvrant mille et un scoops : les pères du journalisme sportif comme Richard Lesclide, Paul Rousseau ou Maurice Martin étaient Bordelais. C'est eux qui lancèrent Le Vélocipède Illustré en 1869 et Le Véloce-Sport en 1885, puis L'Athlète. Les premières femmes libérées par la vélocipédie, c'était encore Bordeaux. Le coup de clairon, qui lança la course sur route, c'était Bordeaux-Paris, en 1891. Le premier champion à arborer un maillot tricolore, c'est le Bordelais Georges Cassignard. En mai 1903, le Paris-Madrid est sauvé du naufrage par l'accueil de Bordeaux, en attendant que, quelques semaines après, le premier Tour de France cycliste n'enchante la ville. Et tout le reste suit, de l'école de lutte bordelaise, avec Fénélon, et l'aviron avec papa Lacoste et Carlos Deltour, à la paume avec Albert de Luze, et la Villa Primrose, la Villa Médicis du tennis, et le ballon rond du Burdigala, et les rebonds de l'ovale à Sainte-Germaine, où évolue le SBUC, premier club de province à décrocher le Brennus... tout, absolument tout est montré, raconté et célébré dans ces pages. Y compris Georges Carpentier, ou les Springboks livrant leur premier match international en France...
Oui, le foudre est plein... Oui, le coeur du sport français a battu en Gironde, et il continue à travers ce magistral volume. La dynastie des Gonzalez compte un grand de plus, et la littérature sportive un sacré nouveau beau titre, une première histoire départementale du sport, qui, nous l'espérons, suscitera d'autres exemples. Ce serait une belle consécration pour l'exemplaire Francis.
Serge Laget, ancien journaliste de L'Équipe