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Critiques et romanciers s'entendent mal ; c'est une tradition. Les premiers, avec une remarquable constance, se trompent dans leurs jugements, et les autres continuent, malgré tout, à écouter leurs conseils erronés. Pourquoi cette mésentente, ce divorce ? C'est tout " PARADOXE SUR LE ROMAN ", genre très libre auquel on voudrait imposer des règles, comme si le génie et l'invention obéissait à des lois.
Les critiques parlent de " vrais romans ", mais les grandes oeuvres, celles de Proust, de Kafka ou de Faulkner, par exemple, sont-elles des " vrais romans ", orthodoxes ? On tient pour une qualité de créer des " personnages vivants ", mais sait-on ce qu'est un homme et comment il vit ? Cette notion courante est une fiction commode, la pire des conventions. Le réalisme tant prôné est lui aussi un préjugé parfaitement " irréaliste ", et la vraisemblance est une fadaise. Quant au " témoignage ", c'est un attrape-nigaud. Lit-on Balzac parce qu'il est un " témoin de son temps ", ou parce qu'il est un grand écrivain ?
La règle est pourtant simple. Il suffit de " partir à l'aventure ", et de " ne pas suivre le chemin des autres ".
Cette évidence demeure soigneusement méconnue. Aujourd'hui, les doctrinaires sont plus virulents et plus dangereux que jamais. Après la terreur de la " littérature engagée ", au lendemain de la Libération, nous vivons à présent sous la tyrannie du " nouveau roman ", " plate et triste machine conçue pour aboutir à la destruction totale de la littérature ".
Kléber Haedens, qui peut être mordant ou passionné avec le talent que l'on sait, n'est tendre ni pour Sartre, ni pour Robbe-Grillet, ni pour Nathalie Sarraute, qu'il considère comme des fossoyeurs irresponsables...
Cette vigoureuse contre-offensive d'un des rares esprits libres de notre époque, n'est pas seulement le prétexte d'un réjouissant morceau de bravoure incisif et polémique : c'est un cri d'alarme. On doit l'entendre.