Autant appeler tout de suite un chat un chat, ce livre est un roman autobiographique contant des rencontres de toutes sortes avec quantité d'animaux, poules, coqs, araignées, chiens-loups, chevaux, brebis, chats, merles, mouettes, agneaux, truites, et même escargots : une zoographie - du grec zôion (animal) et de graphô (écrire). Première du genre, chacun d'entre nous pourrait raconter sa propre zoographie, évoquer comment, minuscules, magnifiques, amicaux, effrayants, succulents, ils nous ont bouleversés, fascinés, séduits, parasités, terrifiés, rendus malades, nourris, fait philosopher, eux, les animaux, les non-humains, les familiers différents, les étrangers à demeure, nos compagnons et nos ennemis de l'intérieur, les héros de nos mythologies, nos anciens dieux et nos souffre-douleur... Tous ces animaux qui disparaissent aujourd'hui de plus en plus rapidement de la surface de la Terre...
« Trois mois plus tard, j'habitais chez Chat - ou plutôt chez Pivoine, le nom de la brassée de fleurs achetées par Béné ce jour-là. J'étais devenu l'Humain de service. Je préparais ses repas, nettoyais sa litière, remplissais son bol, lui installais plusieurs coussins dans l'atelier, achetais des jeux pour chat, des vermifuges pour chat, des pâtées pour chat. La servant avec joie ! Dévotion ! Heureux de l'avoir arrachée à la rue et de la regarder vivre. Pivoine... La grâce féline même, élans joueurs, sieste bouddhiste, « yeux mêlés de métal et d'agate ». Elle participait à chaque repas chaise adjugée, exigeante en friandises. Elle prenait toute une série de poses graphiques sur des tissus graphiques, d'où elle était indélogeable quand elle reposait. Elle épongeait nos états d'âme avec un collé collé au regard d'or, étalée sur nos genoux. J'ennuyais la princesse, trois vives frappes de patte, feu craché, et gare à ses griffes, risque sanglant. Six mois plus tard, Bené protestait. « Nous formons un couple à trois avec Pol Pot ! ». Ça, Pivoine était exigeante sur l'emploi du temps. Chahut à 6 heures tapante pour éveiller la maisonnée, jeux bondissants, sieste sur cuisses quand nous écrivions nos articles pour Libération, miaulade têtue pour faire ouvrir les fenêtres menant à la cour ou aux toits, ses terrains d'aventure... Un tyran affectueux, mais ferme. Nous éprouvions la confuse sensation de travailler dur pour que Pivoine se la coule douce toute la sainte journée. Nous capturions sa grâce, elle nous domestiquait. C'était notre contrat. »
« Mon éducation sexuelle mioche débuta entre les assauts du coq Murat et les montes sauvages du verrat Lino Ventura, l'ardeur des béliers et le rut des chevaux, sans oublier les métamorphoses alarmantes de la douce Milady, rampant en feulant à déchirer les tympans, vampant et se battant avec des chats enragés qui l'escaladaient en hurlant comme des assassins, tandis qu'elle se contorsionnait, liane de fourrure, miaulant suraigu, affreusement belle - je me demandais terrifié : « Est-ce que les filles font comme ça aussi ? »